mercredi 30 avril 2014

Exosquelettes médicaux: naissance d'une industrie




Exosquelettes médicaux: naissance d'une industrie

ParisTech Review – Commençons par le commencement : qu'est-ce qu'un exosquelette ?
Alexandra Rehbinder – C'est un dispositif médical d'aide à la mobilité, qui se présente sous la forme d'une structure externe permettant de reproduire les mouvements de la marche. Les exosquelettes développés aujourd'hui sont destinés aux personnes souffrant d'un déficit de mobilité. Wandercraft pour sa part développe un exosquelette à destination des paraplégiques et de certaines formes de myopathie. Mais, par extension et dans un second temps, ce dispositif peut concerner une population beaucoup plus nombreuse : les modèles du futur permettront, d'une façon confortable et discrète, de compenser la perte de mobilité chez les personnes âgées.
Matthieu Masselin –  Les exosquelettes appartiennent au domaine de la robotique de service, qui est en plein essor. Le concept d'« exosquelette » existe depuis les années 1970, mais il n'a été développé que vingt ans plus tard, dans un cadre militaire comme souvent dans les technologies de pointe. Il s'agissait alors d'amplifier le mouvement, pour donner aux soldats des capacités supplémentaires. Les modèles développés pesaient plusieurs dizaines de kilos. On en est déjà à la deuxième génération, avec des progrès spectaculaires : le XOS 2 de l'américain Raytheon, l'une des références du secteur, ne pèse qu'une dizaine de kilos et consomme deux fois moins d'énergie que le XOS 1. Il sert notamment au transport de lourdes charges, avec des performances triplées par rapport à un soldat non équipé.
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Le XOS-2
Mais les exosquelettes à usage médical que l'on développe aujourd'hui appartiennent à un monde bien différent. En passant dans le domaine civil, les fonctionnalités se déplacent : il ne s'agit plus d'amplifier de manière spectaculaire des performances déjà excellentes, mais d'offrir à des personnes privées de mobilité le moyen de retrouver une vie normale, ou en tout cas plus proche de la normale. Il y a de vrais enjeux : la station debout, le mouvement, ce sont des dimensions essentielles pour mener une vie sociale. Ce n'est donc plus la performance qui est en ligne de mire, mais la mobilité, l'autonomie, et avec elles une certaine dignité.
Qu'est-ce qui a permis, sur le plan technologique, ce passage du militaire au civil ?
Matthieu Masselin –  Il y a tout d'abord la baisse des coûts et la miniaturisation de l'électronique. Mais aussi l'informatique avec le développement des systèmes embarqués, qui est une vraie rupture technologique. Il y a enfin la puissance de calcul phénoménale dont dispose aujourd'hui le moindre processeur. C'est cette puissance de calcul qui permet notamment de générer de la trajectoire en ligne.
Au total, beaucoup de composants et de fonctionnalités sont aujourd'hui disponibles à un prix abordable. Comme nos concurrents, nous utilisons des briques : pour les batteries et les moteurs, des secteurs où les technologies sont matures, cela n'aurait aucun sens de chercher à développer des choses qui existent déjà. Dans d'autres cas, en ce qui concerne la mécanique par exemple, nous utilisons des technologies existantes (logiciels de CAO, de modélisation) pour concevoir notre propre architecture. Enfin, nous sommes intégralement propriétaires des algorithmes de contrôle et de l'architecture : c'est là, très précisément, que réside notre valeur ajoutée.
Alexandra Rehbinder – Il faudrait ajouter les matériaux composites, à la fois légers et solides. Et il y a aussi les progrès remarquables faits dans la modélisation du corps humain et les problèmes de biocompatibilité. Nous travaillons d'ailleurs, dans l'incubateur d'Arts et métiers ParisTech, à quelques dizaines de mètres du laboratoire de biomécanique dirigé par Wafa Skalli, une référence mondiale sur ces questions (NDLR : voir son interview parue en 2012 sur ParisTech Review).
Les exosquelettes se situent au carrefour de plusieurs mondes : des savoirs de pointe dans le domaine de la médecine, la mécanique, l'électronique, mais aussi des maths et du calcul. Notre travail prend en compte et utilise ces différents savoirs. De façon plus générale, il ne s'agit pas simplement de développer un produit, mais bien de penser en termes de service médical rendu, ce qui renvoie à l'ergonomie, au confort, aux enjeux pour les utilisateurs, à la sécurité et à la valeur médicale de l'instrument – un instrument qui doit aider les patients, mais qui trouve aussi sa qualité et sa légitimité en évitant de créer de nouvelles pathologies !
Une fois le produit achevé, il reste la certification et les essais cliniques. Cela représente un cycle d'environ un an, certes plus rapide que pour les médicaments, mais qui doit être intégré dans notre plan de développement et plus prosaïquement dans notre plan de financement. Ce n'est d'ailleurs pas seulement une contrainte : les normes européennes en matière de santé sont très élevées, mais le marquage CE permet ensuite d'accéder à l'ensemble du marché européen ainsi qu'aux nombreux pays non européens qui font confiance à ces normes.

Les projets d'exosquelette mobilisent des compétences scientifiques, mais aussi un savoir-faire industriel et plus largement une expérience qu'on ne rencontre généralement que dans des grands groupes. Or les trois fondateurs de Wandercraft n'ont pas 30 ans et l'équipe ne compte que dix personnes. Le pari est-il tenable ?


Matthieu Masselin – Notre projet est ambitieux, et il l'est d'autant plus que les trois fondateurs ont lancé leur entreprise à la sortie de l'Ecole Polytechnique, avec très peu d'expérience. Mais justement, ils avaient envie de faire quelque chose qui sorte de l'ordinaire, et en un sens il est plus facile de se lancer à 25 ans qu'en milieu de carrière.

Par ailleurs, les compétences de base pour mener à bien ce projet correspondent au profil des trois fondateurs : l'un est spécialisé en mécanique, l'autre en mécatronique et le troisième en contrôle commande. Des pôles se sont constitués autour de chacun d'eux, et d'autres compétences sont venues ensuite. Alexandra, par exemple, vient d'une école de commerce, avec un savoir-faire pour décrypter le fonctionnement particulier des marchés qui nous intéressent : il n'est pas inutile par exemple de comprendre les demandes de remboursement dans tel ou tel marché européen, de façon à pouvoir cibler les pays les plus intéressants.
Enfin nous sommes très bien entourés, et cela peut faire la différence sur le plan industriel. Nous bénéficions de l'accompagnement d'entrepreneurs expérimentés, qui nous assurent des contacts avec des investisseurs mais aussi un regard « professionnel » sur les process, le prototypage, l'identification des sous-traitants et les relations avec eux. Il y a aussi un partenariat avec Mines ParisTech, et nous travaillons en lien étroit avec des associations de patients. Wandercraft n'est pas une structure isolée, elle s'inscrit dans un écosystème.
Alexandra Rehbinder – La viabilité de l'entreprise, à ce stade, est également rendue possible par un cadre fiscal et un environnement financier favorables à de petites structures innovantes. Nous bénéficions de mécanismes fiscaux comme le statut de jeune entreprise innovante ou le Crédit Impot Recherche qui, articulés au soutien d'investisseurs privés et publics, nous permettent de travailler cette année et l'an prochain sans faire de chiffre d'affaires. La confiance est essentielle dans ce type d'activité. Les investisseurs privés jouent d'ailleurs un rôle essentiel : ils attestent de la solidité et de la fiabilité du projet, ce qui encourage l'engagement d'investisseurs publics tels que celui de la Banque publique d'investissement, puis de la Région.
Matthieu Masselin – Les investisseurs ne se paient pas de mots et ils attendent des résultats. Nous avons déjà produit un prototype, restent des étapes de développement qui seront menées en parallèle avec la certification, avant la mise sur le marché et l'industrialisation. Pour vous donner une idée nous espérons 20 exemplaires pour la première année de commercialisation qui est prévue pour mi-2016, puis près de 100 en 2017. Notre capacité à monter en charge sera donc testée très vite et nous travaillons déjà à identifier les sous-traitants les plus fiables. Au demeurant, nous ne serons pas une « entreprise sans usine » : une partie de la fabrication sera faite en interne.
Certains des sous-traitants sont déjà certifiés pour le matériel médical, ce qui est un atout. Mais d'autres ne le sont pas. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux car la question du design de produit est essentielle pour le service après-vente. Il faut que tout soit accessible facilement, mais pas par tout le monde ! La question de la fiabilité sera évidemment essentielle, notamment quand nos produits sortiront d'un cadre hospitalier pour devenir des objets du quotidien. On pourrait ainsi imaginer du monitoring à distance, même si nous ne développerons pas immédiatement cette option.
Au total, il s'agit bien d'une démarche industrielle. Nous devons d'ailleurs gérer le risque de contrefaçon, même s'il est limité par le nombre de composants, le savoir-faire très spécialisé, et surtout le soft, qui est très difficile à récupérer.
Quels sont vos concurrents et à quoi ressemblent leurs produits ?
Alexandra Rehbinder – Les acteurs de la Défense ne se sont pas engagés dans cette activité, et se partagent un marché très différent, avec des clients comme le Pentagone. Les exosquelettes à usage médical forment un marché à peine émergent et nos concurrents sont eux aussi de petites structures.
On peut citer le japonais Cyberdyne, fondé par le Dr. Yoshiyuki Sankai, de l'université de Tsukuba. Ils ont développé un concept original, avec des patchs destinés à capter les influx nerveux. Mais ce n'est pas adapté à tous les patients : les paraplégiques, en particulier, n'ont justement pas d'influx nerveux.
Argo, en Israël, a vendu quelques exemplaires d'un exosquelette de rééducation associé à des béquilles et destiné à des centres de soins.
Rex Bionics, en Nouvelle-Zélande, a développé un modèle destiné aux paraplégiques et vendu à des particuliers – pour le moment, à de riches particuliers, car les prix vont de 100 000 à 150 000 dollars. La marche est un peu robotique mais les bras sont libres. Il s'agit d'un dispositif assez massif, de près de 40 kg, qui permet de faire 3 mètres par minute.
Et Wandercraft ?
Matthieu Masselin – Wandercraft se situerait, dans ce paysage, entre Rex et Argo : l'usage des bras est sauvegardé, le dispositif est léger et il est plutôt discret. Le contrôle de notre exosquelette est conçu sur le principe de centrales inertielles : le dispositif agrège et fusionne des données (collectées par des MEMS, des microsystèmes électro-mécaniques) pour comprendre la position du haut du corps et y articuler un mouvement.
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Nous essayons de développer un produit léger, confortable et discret – quelque chose auquel, idéalement, on ne pense pas plus qu'à un organe. Les questions de design et d'ergonomie sont donc essentielles et elles sont intégrées très en amont du travail de conception. C'est un enjeu marketing, bien sûr – ne pas faire peur au patient, lui donner l'envie d'apprivoiser l'instrument – mais aussi un enjeu social : éviter toute stigmatisation. L'exosquelette n'est pas un instrument anodin. L'exosquelette permettra de marcher à vitesse normale (3,5 km/h) durant 3 heures en continu, ce qui correspond en moyenne à une journée de marche.
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Nous avons reçu récemment un message d'une personne ayant essayé un exosquelette, qui évoquait une « victoire psychologique ». Tout l'enjeu est là, et un produit bien conçu doit pouvoir favoriser cette victoire. C'est pourquoi nous réfléchissons énormément aux scénarios d'usage : comment enfiler ou enlever un exosquelette, comment s'asseoir sur une chaise, etc. C'est un outil issu de la robotique, mais il ne doit pas transformer les gens en robots. D'une certaine façon, l'horizon du produit, c'est d'être un habit : quelque chose qu'on oublie en le portant, mais qui nous aide à nous sentir bien en société.


Les défis industriels de l’impression 3D




Les défis industriels de l'impression 3D

Techniquement, les possibilités de la 3D semblent infinies. Depuis quelques années, il est possible, grâce à une machine dont le coût unitaire diminue rapidement – pour mille dollars, on trouve des imprimantes personnelles performantes – d' « imprimer » à domicile des objets comme des jouets, des pièces détachées, des armes, des outils, des bijoux, des éléments de mobilier mais aussi de la nourriture. Chaussures, montures de lunettes et d'innombrables objets du quotidien peuvent être fabriqués à domicile avec un plastique biodégradable à base de maïs. La machine, qui peut aussi être alimentée en résine, en diverses poudres ou en pâte alimentaire, obéit aux instructions d'un logiciel et empile des couches de matière, une couche après l'autre.
L'impression 3D peut donner lieu à des économies considérables. Pour prendre un exemple humanitaire emblématique, on peut « imprimer » des prothèses orthopédiques (on imprime les éléments que l'on assemble ensuite) pour une fraction du prix de catalogue. Les prothèses de mains sont ainsi imprimables pour un prix modique. Un exemple : selon le fabricant MakerBot, qui offre gratuitement un éventail de plans d'impression sur son site internet dans une déclinaison du concept de logiciel libre, les plans numériques de la « robot-main » ont été téléchargés 55 000 fois en un an. Parmi ceux qui l'ont fait, il y a bien sûr de nombreux curieux. Mais demain, ce seront des équipes spécialisées dans les pays en développement qui grâce à cette technologie pourront changer la vie de personnes à faibles revenus.
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Les applications médicales – les organes imprimés – sont toutes proches. Il reste simplement à trouver un moyen efficace de faire « tenir » l'édifice biologique créé par impression. L'université de Yokohama promet pour 2014 un foie, imprimé à partir d'une « encre » composée d'un liquide contenant des cellules vivantes, et donc la fonction serait pour l'instant purement thérapeutique. Les biologistes impriment des « biobots », des robots miniaturisés capables de cheminer à travers le corps afin d'y effectuer une « réparation » ou d'y délivrer un médicament. Au Wyss Institute de Harvard, on a imprimé des nano robots en forme de coquillage, composés d'ADN et capables de s'ouvrir sélectivement au contact de certaines cellules cancéreuses pour y délivrer des anticorps spécialement calibrés pour elles. Les industries biotechnologiques pourraient être transformées radicalement par les futures découvertes.
L'étape suivante est déjà prête et le « self assembly lab » du MIT travaille sur l'impression 4-D, c'est-à-dire la capacité de créer un objet tout en lui conférant la capacité, grâce aux propriété biomimétiques de ses matériaux composites, de se transformer lui–même ou de s'auto-assembler avec d'autres objets au cours du temps et en fonction de la chaleur, la lumière, l'humidité, les vibrations ou même les sons. On imagine des tenues dont le camouflage ou la couleur s'adapteraient à l'intensité de la lumière ou des carrosseries automobiles s'adaptant à l'humidité et se protégeant contre la corrosion du sel sur les routes, ou encore des canalisations capables de se contracter, de se dilater voire d'onduler pour se muer en pompe en « poussant » l'eau.
Une rupture systémique
L'impression 3D n'est pas nouvelle. Elle existe depuis 1983, année de l'invention de la stéréo-lithographie par Charles Hull, le fondateur de « 3D Systems ». Ce qui est nouveau, c'est que cette prouesse, couplée à la baisse rapide du coût des appareils, peut désormais apporter une rupture systémique sur le marché. La perspective de plus en plus réaliste, pour chaque foyer, de posséder à domicile une machine permettant de fabriquer un nombre considérable d'objets, est de nature à remettre en cause les fondements mêmes de la consommation.

À l'échelle industrielle, les conséquences envisageables sont encore plus marquantes. Avec l'impression 3D un ingénieur a seulement besoin d'un logiciel de design assisté par ordinateur (DAO) pour fabriquer des prototypes beaucoup plus rapidement et à un coût bien moindre, ce qui aura un impact sur la possibilité de multiplier les prototypes, mais aussi de créer des séries courtes. Il est également possible d'innover par itérations beaucoup plus rapprochées. Au lieu d'avoir à créer un moule pour chaque prototype, la même imprimante peut les créer tous, les plus simples comme les plus alambiqués, avec exactement la même facilité. L'impression 3D est indifférente à la complexité. En outre, elle fonctionne sur le principe de la fabrication additive, par empilement de couches successives de matière, par opposition aux méthodes traditionnelles d'enlèvement de matière comme l'usinage par exemple. Il n'y a aucun déchet. Les achats de matière première sont réduits d'autant.
La manufacture traditionnelle exige une large gamme d'acteurs : équipementiers, fournisseurs, bureaux de prototypage, usines, entrepôts, et compagnies de transport. L'impression 3D permettant de produire des pièces à la demande, sur place, et seulement en cas de besoin, elle a le potentiel, en dépit d'un coût unitaire supérieur, pour simplifier considérablement la chaîne d'approvisionnement et réduire les gaspillages coûteux en énergie, comme la consommation de carburant de transport, les équipements non utilisés et les stocks excessifs. D'après une étude approfondie du cabinet Lux Research, on assistera à l'émergence d'une nouvelle « supply chain » où il s'agira avant tout, pour les industriels, non pas d'intégrer toutes les étapes de la production, mais de nouer entre eux des partenariats symbiotiques pour fédérer les expertises.
Certaines entreprises industrielles, et pas des moindres, ont commencé à franchir le pas. Aux Etats-Unis, la Nasa envisage de fabriquer des moteurs de vaisseaux spatiaux par impression 3D. Des injecteurs imprimés à partir d'un alliage de métal ont été testés avec succès. L'idée : faire chuter les coûts et les temps de fabrication, avec en ligne de mire une accélération de l'exploration du système solaire en délocalisant certaines phases de la fabrication… dans l'espace ! La 3D permet en effet, en théorie, de construire des vaisseaux dans l'espace ou sur la Lune à partir de matériaux prélevés sur place. L'Agence spatiale européenne travaille pour sa part à l'impression 3D complète d'une base lunaire. Par ailleurs, des imprimantes de pointe ont été utilisées par le groupe de défense américain Lockheed Martin pour fabriquer une pièce d'un télescope qui doit être déployé dans l'espace autour de 2018. L'industrie aéronautique est un autre débouché très sérieux. En janvier 2014, BAE Systems faisait voler un chasseur Tornado dont plusieurs pièces métalliques sortaient d'une imprimante 3D.
En 2012, deux fabricants d'imprimantes 3D, Stratasys et Optomec, ont créé un précédent en imprimant l'aile d'un avion, y compris les logements pour accueillir les circuits électroniques, ouvrant la porte à la combinaison de la fabrication additive et de l'électronique imprimée. La résolution de l'impression 3D – un micron pour les meilleures machines – est suffisante pour de nombreuses applications électroniques. À l'avenir, électronique, capteurs et communications seront intégrés dès la fabrication, ouvrant la voie à l'impression 3D multifonctionnelle, une avancée manufacturière impossible avec le moulage à injection. Il reste toutefois à inventer la machine capable d'imprimer en même temps l'objet et son électronique intégrée.
Si l'aéronautique et l'automobile sont deux secteurs prometteurs pour la 3D, le cabinet Lux Research attire l'attention sur des différences importantes. Même si la R&D dans l'automobile apprécie la 3D pour le prototypage rapide, la proposition de valeur est moindre que dans l'aéronautique et l'espace, et ce pour quatre raisons principales : les pièces automobiles ont des formes moins complexes ; les matériaux de pointe sont adoptés plus lentement ; la légèreté des matériaux constitue un enjeu moindre ; les volumes produits sont beaucoup plus grands, ce qui rend l'impression 3D moins compétitive que le moulage par injection.
L'impression 3D est très adaptée à une tendance lourde : la personnalisation et la customisation des produits. En France, la Poste propose dans certains de ses bureaux des imprimantes 3D. Les clients peuvent y imprimer des objets simples choisis dans un catalogue ou des maquettes dont ils apportent eux-mêmes les plans sur fichiers.
Les instruments médicaux comme les prothèses, les appareils auditifs, les appareils dentaires, peuvent être fabriqués par impression 3D, au sein même de l'hôpital. La 3D permet donc d'écourter le séjour du patient, avec des effets importants sur les dépenses de santé. De nouveaux services émergent. Pour étendre le concept d'échographie, certains hôpitaux commencent à proposer des sculptures en 3D des enfants quelques semaines avant leur naissance !
Pour ses partisans les plus enthousiastes, l'impression 3D va tout simplement rendre obsolètes le modèle industriel classique, la notion d'usine et en particulier le modèle de manufacture de masse ultra-concentrée, tel qu'il a été développé depuis une vingtaine années. Cela pourrait reconfigurer la géographie de la production, dans une direction qu'il est aujourd'hui bien difficile de déterminer.
Par exemple, on parle beaucoup en ce moment des imprimantes 3D géantes. Le KamerMaker néerlandais est ainsi capable d'imprimer une maison. Le modèle conçu par l'Université de Beihang serait capable de produire des pièces en alliage de titane destinées à l'industrie aéronautique – des pièces qui sont aujourd'hui commandées en Europe, à grands frais et avec des délais assez longs. Sous réserve de produire des pièces d'une qualité parfaite, ce qui n'est pas acquis à ce jour, la 3D pourrait ainsi reconfigurer certaines chaînes de valeur et renforcer les acteurs les plus puissants au détriment des sous-traitants spécialisés, notamment ceux qui produisent des pièces à haute valeur ajoutée. Dans ce cas de figure, l'industrie européenne souffrirait et les imprimantes 3D pourraient ainsi accélérer l'essor de l'industrie chinoise.
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KamerMaker: l'imprimante au travail


Mais on peut parfaitement imaginer à l'inverse une érosion de l'avantage comparatif chinois fondé sur le travail bon marché, car s'il devient possible de fabriquer partout, aucune réduction de salaire ne pourra compenser les coûts de transport transocéaniques. Certes, nombre d'objets resteront produits en grande série selon des procédés plus classiques. Mais on pourrait assister à une « commoditisation » de ces objets, la valeur se nichant dans les objets uniques ou les petites séries fabriquées ailleurs dans le monde. Ou dans les fichiers qui permettront de fabriquer ces objets.

Obstacles et défis
Dans la réalité, toutefois, cette nouvelle ère industrielle, que son prophète Chris Anderson nomme la « révolution des makers », bute sur quelques obstacles sérieux. Certains sont d'origine technique. Hormis les machines de très haut de gamme qui coûtent plusieurs millions de dollars, la 3D tend à imprimer des produits moins solides que ceux obtenus dans les moules à injection traditionnels. La constitution couche par couche entraîne une faiblesse structurelle dans l'axe de la troisième dimension. Cette faiblesse affecte même les procédés de pointe, par exemple le frittage sélectif par laser utilisant le polyetherketoneketone (PTKK). La surface du produit fini est moins lisse, plus rugueuse. La sécurité de l'opération n'est pas encore aux standards domestiques des pays avancés. Certes le polymère thermoplastique ABS (acrylonitrile butadiène styrène) et le PLA (acide polylactique) refroidissent rapidement, mais les matériaux plus sophistiqués comme les résines ou les poudres sont sources de pollution.

Autre inconvénient : on ne peut pas faire d'économies d'échelle. Quant à la durée d'impression, elle varie en fonction du nombre de couches mais peut durer des heures, voire des jours. Ce rythme peut convenir pour la fabrication d'un prototype, pas pour la production en série, même si l'on parle de petites séries. Cette vitesse est – et restera – très dépendante de la vitesse à laquelle la tête d'impression peut extruder la matière première.
Le coût des machines a beaucoup baissé au fil du temps, mais ce n'est pas le cas de la matière première. Par exemple, l'ABS, le matériau d'impression 3D le plus communément utilisé, qui se vend en vrac pour environ 2$/kg, se vend entre 35$/kg et 80$/kg quand il est sous forme de filament ou de poudre. Cela est dû pour partie aux exigences de pureté et d'homogénéité, mais ce coût élevé provient surtout du fait que chaque fabricant d'imprimante 3D oblige les utilisateurs à acheter ses propres matières premières, vendus avec des marges élevées, comme c'est le cas d'ailleurs pour l'impression à jet d'encre.
Enfin, l'impression 3D comporte des risques juridiques. Si par exemple un fabriquant de casque vend le fichier de CAD nécessaire pour l'imprimer en 3D et que le casque révèle un défaut à la suite d'un accident, qui, du fabricant de casque ou du fabricant de l'imprimante, est responsable ? Ces risques pourraient amener les éditeurs et fabricants à faire preuve de prudence et grèveraient donc l'essor de la micro-fabrication chez les particuliers. L'enjeu industriel du contrôle qualité trouve difficilement sa place dans la micro-fabrication chez les particuliers.
La perspective de voir l'impression 3D quitter le monde du prototypage pour celui de la production proprement dite inquiète aussi les milieux de la propriété intellectuelle. Il est désormais facile d'acheter un objet, de le scanner, puis de l'imprimer autant de fois que nécessaire pour satisfaire un marché de proximité. Il s'agirait de copies presque parfaites. Les entreprises peuvent essayer de se défendre. Des moyens existent, qui permettent de garantir l'authenticité des produits, par exemple des puces intégrées dans les produits, ou encore des mesures techniques de protections (MTP) intégrées aux logiciels de dessins 3D. Mais le danger demeure et l'industrie physique pourrait traverser les mêmes affres que celle de la musique ou du film. Les chiffres sont édifiants. Gartner, un influent bureau d'analyse des technologies, évalue à 100 milliards de dollars pour 2018 la perte annuelle en droits de propriété due à la 3D.