mardi 29 octobre 2013

Comment se lancer sans « produit » (et quand même avoir une chance de s’en sortir) | Création d'entreprise & startups ! | Guilhem Bertholet




Le mythe de la Lean Startup (il faut vraiment que je me pose quelques heures pour mettre noir sur blanc pourquoi la Lean Startup n'est qu'une des réflexion qui peut aider à lancer une startup – et non pas la méthode à suivre les yeux fermés !) commence à vraiment imprégner le petit monde des startups… et une croyance a émergé : les premiers temps de la vie de son entreprise, il faut tout faire pour mettre au point son « MVP » – Minimum Viable Product.

Si globalement, l'approche est saine – s'occuper de comprendre son client – elle a par contre mis l'emphase très fortement sur la nécessité de développer très tôt un produit.
Et pourtant, même en s'attelant à cette méthode, très peu réussissent à faire le produit génial qui décolle vraiment – et l'on retrouve encore beaucoup de boites, âgées d'1 à 3 années, fortes d'un top produit qui a pivoté quelques fois, mais sans clients, sans marché, sans argent pour poursuivre.

Je pense qu'il existe une autre approche intéressante, dans les premiers mois de l'entreprise, qui peut aider à survivre, et à se lancer, sans produit.

Il s'agit de penser différemment à ce que peut être le produit, et de faire du contenu.
Oui, le contenu est dans ce cas-là le produit.
Sans développement, il reste possible sur presque tous les secteurs d'activité de se lancer en agrégeant / créant des contenus intéressants.

Attention : je ne dis pas de se lancer pour devenir une entreprise de contenus. Mais bien de faire que le contenu soit le premier produit que va créer la jeune startup, avant même un produit  « technique » à proprement parler. 

Cela a plusieurs avantages à mes yeux :
  • la barrière à l'entrée est moindre : il faut moins de temps pour écrire des articles / un ebook sur un sujet, qu'il n'en faut pour mettre au point ne serait-ce même qu'une seule fonctionnalité – et il n'y a finalement pas tant que cela de « bons » contenus sur un sujet « de niche », quelle que soit la niche. Avec un peu de temps et d'application, vous devriez récolter les fruits de votre travail !
  • cela vous donne du temps pour vous associer : même sans co-fondateur Tech ou sans moyen financier pour faire faire votre site / service / appli à une agence (quoi que, vous savez ce que j'en pense), vous pouvez comprendre et écrire des choses intéressantes sur votre secteur. Et comme « monter en expertise » et la faire reconnaître prend du temps, le plus tôt est le mieux ! (d'autant plus que vous convaincrez plus aisément un dév de vous rejoindre si vous montrez que vous êtes crédible sur le sujet…).
  • vous pouvez éventuellement le faire en mode « soirs & we » : pour faire du contenu pertinent sur un sujet, 15 jour de veille intensive puis 1h par soir suffisent à commencer à avoir un rendu quali et pro. Voilà une excellente chose à faire donc, et une bonne habitude à prendre, lorsque vous n'êtes pas encore sur votre projet à 100%, par exemple en cours de préavis ou en fin d'études, ou même si vous vous tâtez encore à quitter le nid du salariat pour sauter dans le grand bain. Cela vous permet de gagner du temps et de construire votre expertise.
  • cela construit une vraie base pour vous permettre de faire du Customer Development : plutôt que de chercher désespérément des « alpha-testeurs » le jour où votre MVP commence à être montrable, vous devriez grâce à vos contenus avoir déjà une base assez propice pour donner feedbacks et conseils…
  • vous n'êtes pas à l'abri de monétiser votre contenu : on ne sait jamais, vous allez peut-être vraiment créer des contenus intéressants, qui vous amèneront des opportunités monétisables : un peu de conseil, des articles rémunérés, de la pub, de l'orga d'événements… Je suis passé par là, et franchement lorsque l'on monte sa startup, un sou c'est un sou et il n'y a pas de sot métier !
  • c'est une histoire de « levier » : avoir un « média » qui est un peu en pointe sur un sujet, voire même carrément celui qui sert de référence et qui attire un peu de trafic qualifié, cela vous donnera plein de cartouches pour « faire levier » sur des personnalités de votre secteur d'activité. Que ce soit via des interviews (top pour entrer en contact de manière non commerciale avec des décideurs que vous peineriez à toucher, par exemple) ou tout simplement pour relayer des infos / news, vous verrez que vous serez dans une position bien meilleure !
  • vous attirerez d'autant plus l'oeil des médias : en tant que startupeur « communiquant », l'une de vos prérogatives de permettre à la startup de gagner un peu en visibilité, de passer dans la presse, de préparer le terrain pour une levée de fond ou l'acquisition de clients. Si vous avez du contenu intéressant, intelligent, et « dans la tendance de ce que des journalistes peuvent traiter », il y a de fortes chances qu'ils prêtent d'autant plus attention à vous qu'ils sentent que 1. vous êtes un bon client, et 2. vous pouvez parler de plus de choses que juste vendre votre popote commerciale.
  • si votre entreprise est vouée à réussir, ce sera l'une des clés de sa réussite : appelez-la comme vous voulez (Inbound Marketing, Content Marketing, …), mais la stratégie de contenus est de plus en plus importante pour votre plan d'acquisition / plan marketing / plan commercial. Faire des contenus intéressants est de toute manière un point de passage obligé pour 90% des startups en B2B, un peu moins en B2C mais cela tend à être de plus en plus le cas… donc autant commencer tôt et inculquer cette culture chez vous !
Alors, vous commencez quand à faire du contenu ? C'est peut-être bien ça votre premier produit !

lundi 28 octobre 2013

[Témoignage] Ce que la France de l’innovation peut apprendre de la Silicon Valley - Maddyness


innovation france silicon valley


Voici une question qui m'a été posée lorsque, à l'occasion d'une conférence organisée par Arthur de Conihout, Jack Voileau et The Family, j'ai croisé Jean-Yves Bruna, Directeur du Développement Stratégique de Sopra Group Services Financiers. Alors, j'ai pensé à mon récent voyage dans la Silicon Valley et voici la première idée m'est venue.

J'ai constaté une réelle différence dans la vitalité du capital investissement entre la Silicon Valley et la France.

Dans son rapport sur la compétitivité Louis Gallois indique que la collecte de capital investissement s'établit à 6,4 milliards d'euros pour l'année 2011 en France. Or, en 2012, New Enterprise Associates, un fond investissement américain a levé, à lui seul, plus de 2,6 milliards de dollars, selon Evelyn Rusli, reporter au NYTimes. Donc, ce qui étonne d'emblée, c'est le fait qu'un seul fond d'investissement américain puisse lever à peu près un tiers de la totalité des fonds collectés par tous les fonds français. De là, une capacité d'investissement qui est sans commune mesure avec ce qu'on trouve en France. Mais, "cela n'a pas grande importance" m'a répondu Vivek Wadwah, un entrepreneur et universitaire indien-américain. Il a ajouté que le capital investissement a perdu en importance parce que les besoins en CAPEX des startups ont considérablement diminué (voir infographie) ces dernières années, notamment grâce aux technologies du Cloud. C'est vrai. Mais, il n'y a pas que le CAPEX; il y a aussi l'OPEX. Et cela a des implications extrêmement concrètes. Voici un exemple.

L'exemple de Piazza

En effet, parmi les nombreuses startups que j'ai pu rencontrer, j'en ai rencontré une, Piazza, qui est en train de développer un logiciel collaboratif à destination des étudiants des universités américaines.
Piazza
Le logiciel est très simple d'utilisation et il me paraît être relativement bien conçu. Mais, ce qui m'a étonné le plus, ce n'est pas tellement le produit mais plutôt les finances. En effet, d'après le Directeur Général, les investisseurs ont souhaité que Piazza concentre ses efforts sur la conception, l'amélioration, et la diffusion du logiciel auprès de son public cible, sans se soucier de la génération de revenus ; et d'ailleurs, sans même se soucier non plus de l'élaboration d'un modèle économique (!) Autrement dit, pendant deux ans, le fonds d'investissement de Piazza a payé les salaires de ses employés, sans que cette entreprise ne génère le moindre revenu.
Je vais être très clair : je n'ai jamais vu chose pareille en France. Pourtant, j'ai travaillé dans plusieurs startups et j'ai rencontré de nombreux investisseurs. Mais, je n'ai jamais entendu parler, dans aucune réunion, dans aucune conversation, dans une aucune discussion, à aucun moment, d'un investisseur qui serait prêt à payer les salaires de 10 employés pendant deux ans sans que ceux-ci n'élaborent de modèle économique. Jamais. D'ailleurs, Philippe Colliat, un Directeur Général dans l'e-commerce et le web, qui était avec moi chez Piazza, partageait ma surprise. Moi, ce que j'entends, lorsque je rencontre des investisseurs en France, c'est plutôt des investisseurs qui seraient prêts à investir à condition que l'entreprise ait déjà développé son produit, ait déjà acquis quelques grands comptes, ait déjà atteint l'équilibre. Au début, je me suis dit que cette différence devait provenir d'une différence culturelle : l'investisseur français serait davantage averse au risque que son homologue américain. Cela est peut-être vrai.

L'investisseur américain a beaucoup plus de capitaux à investir que l'investisseur français

Mais il y a une autre différence notable : l'investisseur américain a beaucoup plus de capitaux à investir que l'investisseur français. L'investisseur est donc prêt à investir dans une entreprise sans que celle-ci ne génère de revenus pendant deux ans. Conséquence ? Le temps passant, des entreprises comme Piazza finissent par acquérir une réelle base d'utilisateurs, parfois plusieurs dizaines de millions. Ils développent une réelle connaissance de leurs clients et comprennent l'usage que leurs clients font de leurs produits. Celui-ci est donc amélioré en conséquence, c'est-à-dire en fonction de l'usage réelle que les clients font de leurs produits. Et, le temps passant, l'entreprise qui mettait son produit à disposition gratuitement, commence à faire payer l'accès à certaines fonctionnalités plus avancées. Et voici qu'une entreprise qui ne générait pas de revenus commence à générer un revenu certes très modeste si l'on regarde le revenu par utilisateur, mais qu'il l'est moins lorsque ce revenu par utilisateur est multiplié par la base d'utilisateurs qui se compte déjà en plusieurs millions.

Et c'est ainsi que l'entreprise conçoit un modèle d'affaires "scalable"

Autrement dit, l'anxiété des dirigeants pressurisés par des investisseurs ne les amène pas à concevoir de grands "Business Plan" avec des projections de revenus sur 5 ans ; il n'y a pas ce stress à vouloir dégager du profit tout de suite. Il n'y a pas non plus, pour corollaire, cette arrogance qui consiste à vouloir prédire l'avenir alors que l'entreprise évolue sur un nouveau marché et que les mouvements de la concurrence demeurent encore illisibles. Au contraire, j'ai trouvé chez les dirigeants des startups de la Silicon Valley une réelle humilité : celle qui consiste à penser qu'un "Business Plan" doit servir avant tout à apprendre : apprendre à connaître son marché, apprendre à connaître les besoins de ses clients, apprendre à anticiper la demande du marché plutôt qu'à prédire les revenus futurs comme une voyante avec sa boule de cristal.
Le résultat ? Aujourd'hui, la Silicon Valley compte plus de 50 entreprises pré-offre publique initiale valorisées à plus d'un milliard de dollars, d'après Vincent Worms, le Managing Director de Partech International, une société de capital risque basée en Californie et en Europe. Je répète: la Silicon Valley compte 50 entreprises différentes pré-offre publique initiale valorisées chacune à plus d'un milliard de dollars. Et ce sont ces entreprises là qui seront les Microsoft, Apple, Amazon, Google, Facebook, Salesforce, LinkedIn et Twitter de demain ; ce sont ces entreprises-là qui seront pourvoyeurs d'emplois et de croissance.
Vous m'objecterez que nous avons également en France nos startups championnes, telles que Dailymotion et Deezer, par exemple. Et j'accepte cette objection. Mais, si l'on regarde la tendance générale, on prend conscience que les ordres de grandeur demeurent incomparables.
L'innovation un enjeu pour la France - Pierre Tambourin et Jean-Luc Beylat
Sources : Jean-Pierre Beylat, Pierre Tambourin, L'innovation, un enjeu majeur pour la France, page 49
Ce graphe montre qu'il y a un multiple significatif (entre 14 et "plus l'infini" selon l'année de création) si l'on compare le nombre d'entreprises françaises et américaines qui atteignent 100 millions d'euros de R&D.
A l'évidence, la France a su créer des géants mondiaux à la libération. Aujourd'hui, l'économie française place le plus grand nombre d'entreprises dans le Fortune 500 devant ses concurrents européens, tels que l'Allemagne, le Royaume-Unis, l'Italie et l'Espagne. Mais, paradoxalement, la France ne sait pas du tout transformer ses startups en de grands géants mondiaux. A l'inverse, les Etats-Unis, emmenés par le dynamisme de la Silicon Valley, y excellent.
Et ce savoir-faire américain est, pour partie, fonction:
  • de la vitalité du capital-risque
  • du temps que les investisseurs et les Startups se donnent pour peaufiner leurs innovations
  • du temps que les investisseurs et les Startups se donnent pour trouver leurs modèles économiques
  • du temps que les investisseurs et les Startups se donnent pour comprendre les attentes de leurs clients
  • de la rapidité avec laquelle un modèle économique "scalable" parvient à générer des revenus conséquents
  • de la capacité de la Silicon Valley à produire des Startups innovantes et profitables en grand nombre
  • de la capacité de la Silicon Valley à produire à produire les géants mondiaux de demain
Voici donc la première idée qui m'est venue lorsque Jean-Yves Bruna m'a demandé ce que la France de l'innovation pouvait apprendre de la Silicon Valley. Et d'autres idées me sont venues encore… et celles-ci feront l'objet de prochaines tribunes.
Crédits Photo: Flickr


vendredi 25 octobre 2013

Ne pas travailler peut rapporter presque autant qu'un smic - iFRAP



Ne pas travailler peut rapporter presque autant qu'un smic


Le 24 octobre 2013 par Bertrand Nouel


Ainsi, le travail paye-t-il ?

Pour répondre à cette question, la Fondation iFRAP a établi une simulation de revenus nets. Le foyer "type" de cette simulation est un couple avec deux enfants entre 5 et 15 ans, habitant dans la région parisienne (équivalent à zone 3 pour le transport), payant un loyer mensuel de 600 euros, et ne disposant d'aucune ressource autre que celles provenant de l'assistance, ou d'une activité salariée suivant diverses hypothèses.

Source de revenuSans activité3/4 Smic1 Smic1,5 Smic2 Smic3 Smic
AF [1] 127 127 127 127 127 127
APL [2] 483 445 360 193 28 -
RSA [3] 762 443 335 122 - -
ARS [4] 63 63 63 63 - -
CMU-C [5] oui non non non non non
Carte-transport [6] 219 - - - - -
Exo Taxe Hab. [7] 40 - - - - -
Tarifs sociaux [8] oui oui oui non non non
Prime de Noël 23 - - - - -
Autres aides [9] oui non (?) non non non non
Activité - 838 1.112 1.683 2.244 3.366
PPE [10] - - - - 70 -
IRPP 52 - - - -10 -41 -
Total1.7171.9162.0072.1882.4283.441

Gain du revenu activité [11] (hors tarifs sociaux et aides)
23,7% 25,8% 27,9% 31,6% 51,2%

À la lecture de ce tableau, il est facile de voir que, lorsqu'il est peu rémunéré, le travail n'apporte, en proportion de sa rémunération, qu'une amélioration très modeste des revenus par rapport à l'absence d'activité.
Avec 838 euros de rémunération mensuelle, la différence, tous revenus confondus, n'est au final que de 199 euros. Elle risque en fait d'être nulle, voire négative, car nous n'avons pas pu tenir compte du revenu procuré par les tarifs sociaux ni par les aides facultatives, sachant aussi que le couple gagnant 838 euros en salaire se trouve à la limite du seuil de ressources permettant d'avoir accès à ces tarifs et aides.
Pour que le travail « paye » véritablement par rapport à l'absence d'activité, il faut que le salaire dépasse nettement 1 smic à temps complet.
En dessous, les revenus d'assistance écrasent les différences. A partir de 3 Smics par rapport à 2 Smics, la différence de salaire se retrouve au contraire presque entièrement dans le revenu final, car il n'y a plus de revenus d'assistance, et seul l'IRPP, peu important à ce niveau, est source de distorsion.



[1] Il s'agit des allocations familiales du régime général, versées sans conditions de ressource. On suppose que le couple ne se trouve pas dans une situation particulière justifiant le paiement de l'une ou l'autre des autres prestations familiales.
[2] Montants indiqués par la simulation effectuée sur le site de la CAF.
[3] Soit 1035 € - le forfait logement (146 €) – les AF (127€) + (62% x le revenu activité) – le revenu activité.
[4] 2x380 € lissés sur 12 mois.
[5] À la différence de la CMU, elle constitue un avantage par rapport aux cotisations des salariés puisqu'il s'agit d'une complémentaire santé.
[6] Par souci de comparaison avec le coût probable auquel les salariés se limiteraient, on n'a pris en compte que le tarif correspondant aux zones 1 et 3, mais s'ils le désirent, les titulaires du RSA ont le droit à gratuité complète de la carte sur les 5 zones de la carte Ile de France pour tous les membres de la famille (113 €/personne par mois). Tarif annuel et tarif jeunes appliqués.
[7] Estimation à 480€/an.
[8] Il s'agit des tarifs sociaux de l'énergie (gaz, électricité) et du téléphone fixe et mobile et de l'internet. Calcul impossible, car dépendant de la consommation. Les couples de la seconde et de la troisième colonnes se trouvent tout à fait à la limite du seuil de ressources qui est celle de l'ACS ( aide à l'acquisition de la complémentaire santé) soit 24.361 € annuels.
[9] Ce sont les aides proposées de façon automatique ou facultative par les CCAS ou les CAF. Variables selon les organismes régionaux et les besoins.
[10] Lissé sur 12 mois. Le montant du RSA est déduit de la PPE, ce qui explique que la PPE ne soit positive que lorsque le RSA est faible.
[11] Calculé par le rapport entre la différence du revenu final avec activité et du revenu sans activité par le revenu provenant de l'activité. Exemple : (1916 – 1717) : 838 = 23,7%. Au lieu de voir son revenu augmenté de 838 €, le salarié en question n'en retrouve que 23,7%. Ceci exprime donc le complément de revenu réellement apporté par l'activité.



jeudi 24 octobre 2013

Le Big Data ? "Connais pas", répondent les entreprises



Le Big Data ? "Connais pas", répondent les entreprises

Cela coûte cher et il est difficile d'en apprécier les retombées. Voilà, très résumé, l'avis de 484 directions d'entreprises industrielles sur le numérique recueilli par L'Usine Nouvelle en partenariat avec Sage et Econocom. Et si une majorité de sondés sont familiers avec les notions d'ERP, de cloud et de cybersécurité, qu'ils mettent en oeuvre tous les jours, seule une minorité a connaissance des prochains bouleversements numériques (Internet des objets, Big Data).


lundi 21 octobre 2013

L'échec de l'Usine à Design expliqué par sa créatrice et son business angel - JDN Web & Tech



http://www.journaldunet.com/ebusiness/commerce/l-usine-a-design.shtml


L'échec de l'Usine à Design expliqué par sa créatrice et son business angel







Comment un projet original, innovant et bien financé peut-il connaître l'échec ? Dialogue entre Emilie Gobin, cofondatrice de L'Usine à Design et Olivier Mathiot, son business angel qui cherchent une réponse à la question.


emilie gobin
Emilie Gobin, cofondatrice de l'Usine à Design. © E. Gobin

Préambule : Lancée en 2009, L'Usine à Design était devenue le 5ème pure player français de décoration et design. Son offre s'articulait autour de meubles personnalisables fabriqués à la demande en Asie et se complétait par de la déco venue d'Europe, à des prix accessibles. Elle réalisait plus de 25% de son CA sur le marché BtoB (hôtels, restaurants, distributeurs). Elle avait également développé une nouvelle marque sur le marché asiatique (Lazy-Bag). La société employait 20 personnes à Paris, et une dizaine en Chine. Le CA attendu pour 2013 était de 4 millions d'euros avec une couverture presse soutenue (Envoyé Spécial, Capital...). Son développement a été financé par deux levées de fonds. Une de 1,6 million d'euros auprès du CM-CIC Capital Privé, puis de 4 millions avec le CM-CIC et CAPE devenu Omnes. La société a été placée en liquidation avec poursuite d'activités en avril 2013 et faute de repreneur, liquidée fin juin.

Olivier Mathiot. La première question que je me pose rétrospectivement est celle du marché du meuble sur internet : il y a eu beaucoup de projets, de lancements, de financements mais aussi de faillites ou d'échecs. Quels sont les facteurs-clés de succès selon toi ?
Emilie Gobin. En 2009, le marché du meuble n'avait pas évolué depuis l'arrivée d'Ikea. Nous parions à l'époque qu'internet va tout bousculer. Le marché en ligne s'est ouvert, mais beaucoup plus lentement que prévu. Notamment parce qu'acheter un canapé sans l'essayer, ça reste une folie, même en 2013.
En fait, Internet a tiré le marché vers le bas : le prix moyen des produits ne cesse de baisser, un canapé à 2 000 euros est désormais perçu comme haut de gamme, et les clients achètent maintenant difficilement sans promotion. Pour la génération Ikea, attendre plusieurs semaines pour un canapé est insupportable, même quand il est fait sur mesure comme nous le proposions. Des marges rongées par la promo et le stock, un SAV très coûteux, une récurrence faible, des délais de transformations longs, des coûts d'acquisition importants... En bref, peu de facteurs clés de succès du e-commerce !
En France le marché du meuble est morose, même sur internet. Beaucoup de pure players en ont fait les frais, qu'ils soient éditeurs, distributeurs, généralistes ou spécialistes (Usine Déco, L'Usine à Design, le Jardin d'Ulysse et l'Edito viennent de fermer).
Avec le recul, je pense que trois types d'acteurs peuvent réussir durablement dans le meuble sur le web :
· Les discounters (prix barrés et course au volume) adossés à un grossiste ou un industriel (Miliboo ou Vente Unique), les généralistes inclus (Cdiscount, La Redoute).
· Les distributeurs de marques sélectives (Madeindesign ou Uaredesign) mais seule la diversification (B2B, international, descendre en gamme, éditer) les fait croître car les marchés sont petits. Il y a peu de place pour de nouveaux acteurs, sauf à avoir une ligne éditoriale vraiment innovante et niche (Design Ikonik).
· Les éditeurs (Red Edition) pour l'exclusivité et les marges très hautes (80%). Les ventes évènementielles plaisent toujours (Fab, Westwing), mais cela reste de la distribution sélective. Je rêve que Made ou Harto, nos deux plus proches concurrents, se pérennisent et cartonnent, ce serait une bonne revanche !

Olivier Mathiot. La question du positionnement de l'offre et de la marque a été longtemps débattue lors de nos conseils : quelle a été la faiblesse de L'Usine à Design sur ce point selon toi ?


olivier mathiot bruno klein
Olivier Mathiot, investisseur dans l'Usine à Design. © Bruno-Klein

Emilie Gobin. Notre ambition au démarrage était de mixer des prix barrés et bas avec des produits ultra personnalisables. Malheureusement, cela a engendré des marges basses (30% avant marketing), un niveau de qualité moyen (délai, réassurance, qualité), une offre complexe et peu lisible avec des taux de conversion bas. Nous étions alors frontalement concurrents des discounters.
Fort de ce constat, nous avons alors migré vers un positionnement de marque différent, avec une gamme plus courte, plus identitaire, des produits re-designés, un storytelling fort. Nos ventes avaient alors considérablement augmenté. Cependant, le milieu de gamme, même s'il est séduisant, présente au final tous les inconvénients du bas (marges faibles) et du haut (course à l'innovation, exigence de qualité et d'image).
L'ambition de 2013 était de renforcer ce repositionnement : resserrer la gamme, monter en qualité et prix, développement produit, investir sur la qualité de service pour devenir une sorte de "concept store life style". Au final je pense que notre positionnement était bon, mais prématuré pour rencontrer la demande. Les habitudes de consommation dans le secteur du meuble/design sont encore tournées vers les magasins physiques et imprégnées de la culture du "toucher et voir" avant d'acheter.

Olivier Mathiot. Toujours sur le positionnement, est-ce que tu penses que la "personnalisation", qui semblait être la bonne idée de départ, ne s'est pas révélée une faiblesse ?
Emilie Gobin. C'est la personnalisation qui nous a fait connaître, car il y a vraiment une demande de produits uniques sur ce marché. Avec ce différenciateur, on a pu sortir du lot et devenir rapidement le 5e pure player français.
Malheureusement nous avons découvert que cela imposait des contraintes à tous les niveaux :
· sur nos coûts fixes (site sur mesure, notamment le "personnalisateur"),
· sur notre productivité (l'intégration d'un produit sur le site demandait plusieurs heures voire plusieurs jours, il a fallu créer des codes barres à la volée à partir des millions de combinaisons possibles),
· sur notre qualité d'offres ou de services (charte photographique extrêmement exigeante, erreurs dans la fabrication, retours compliqués, stock impossible, SAV longs...).
Malgré un outil de personnalisation en ligne très réussi, le choix des combinaisons était tellement vaste que le client était perdu, et le taux de transformation très bas, car les délais de décisions s'en trouvaient allongés. Le pire au final c'est que le client ne valorisait pas la personnalisation. Il ne comprenait pas les délais et les marges étaient quand même basses. La dernière année on a donc basculé sur "une forme de customisation optionnelle", qui a considérablement augmenté la transformation du site, mais en même temps diminué notre différenciation par rapport à la concurrence. On s'était banalisé....

Olivier Mathiot. Un point qui me tient à cœur, l'équipe. J'ai trop souvent eu l'impression que l'entente entre les cofondateurs n'était pas optimale. On peut imaginer que ce soit le cas quand les chiffres ne sont pas au rendez-vous... Mais, honnêtement est-ce la seule explication ?

"On a levé trop et trop tôt"

Emilie Gobin. On était quatre fondateurs, trois jeunes sans trop d'expérience, un en fin de carrière, deux en France et deux souvent en Chine. Cette complémentarité d'âge, d'expérience, de géographie et de compétences était géniale au démarrage, elle permettait d'aller vite et d'embaucher peu. Mais très rapidement il a fallu renforcer l'équipe, changer de rôles, ne plus être des "cofondateurs touche à tout" mais avoir une responsabilité opérationnelle précise et limitée pour chacun d'entre nous. Cela a brouillé la vision commune. Puis se sont ajoutées les désalignements d'agenda personnels (fin de carrière vs début de carrière, envie de devenir leader à long terme vs envie de revendre la société à court terme).
La distance France/Chine a aussi été un obstacle important. Au final, cela a entraîné une perte d'agilité, une dispersion, de la complexité  qui ont coûté beaucoup d'énergie et d'argent. De mon côté, je crois aussi que la peur de perdre les acquis a entrainé un manque d'audace et de lucidité sur la fin.

Olivier Mathiot. Une question qui ne doit pas être taboue, celle des VC, les fonds de capital risque. Ils ont décidé de jeter l'éponge au printemps. Qu'est ce qui les a découragé ?
Emilie Gobin. La première levée, c'était 1,6 millions au bout de 6 mois. Avec le recul, c'était beaucoup trop et trop tôt. Très vite, on a été pris dans l'engrenage de la croissance, de la structuration, et on ne prenait plus le temps nécessaire pour s'interroger, tester, se remettre en question, car il fallait toujours "faire les objectifs" pour le reporting mensuel. C'était très court-terme comme approche. Au final, le socle n'était pas encore solide (positionnement, levier de croissance) lorsque nous avons bouclé la seconde levée...
Ensuite, les chiffres se sont ralentis, la marque en Chine, pleine de promesse, n'a pas démarré à temps et les "sorties" de plusieurs acteurs du secteur sur des multiples beaucoup plus bas qu'escomptés ont fait douter les fonds sur leur chance de retrouver leur mise rapidement. Il faut rappeler qu'ils avaient investis dans un contexte délirant où MyFab venait de lever près de 10 millions d'euros sur une valorisation avoisinant les 100 millions avec PPR.
Est-ce que je comprends leur décision ? Oui et non. Début 2013, on annonçait à l'équipe notre troisième levée de fonds en tranche et le rachat de notre fournisseur principal, on faisait un super début d'année. Trois mois après les fonds refusaient brusquement d'investir la deuxième tranche malgré les engagements. S'ils nous avaient soutenus encore quelques mois, on aurait finalisé notre restructuration et notre repositionnement entrepris depuis septembre 2012, aucun client n'aurait été lésé, et on aurait pu être rachetés par un industriel.
Les VC ont des contraintes assez court-termistes, peu compatibles avec les faibles marges de l'e-commerce. Nous avions besoin de plus de temps pour grandir et atteindre les volumes nécessaires. Les fonds accompagnent les boites sur la durée quand elles délivrent et sont saines, mais en cas de crise, malheur à vous si vous arrivez en fin de trésorerie... Cependant je comprends qu'un VC en perte de confiance lâche un dossier, ils en ont tellement, à suivre : ils gèrent leur portefeuille sur des bases statistiques.

Olivier Mathiot. Je me permets de te poser une question "cash" pour finir... 6 millions d'euros ont été investis dans la société, où est passé l'argent ?

"J'espère bien repartir pour une nouvelle aventure"

Emilie Gobin. A l'époque le mot d'ordre était de prendre des parts de marché pour devenir leader. Or, sur un marché aussi concurrentiel que le meuble, cela nécessite beaucoup d'investissement : Made.com a levé plus de 7 millions d'euros, MyFab plus de 10 millions etc. Nous n'avons jamais été rentable, même si nos pertes ont considérablement diminué d'année en année. Nous l'aurions été sous 18 mois. Cinq ans c'est un horizon classique de rentabilité dans le e-commerce.
Notre positionnement n'était pas simple non plus : produire, transporter, vendre les produits, autant de métiers qui alourdissait la structure. Nous aurions certainement dû externaliser totalement certaines fonctions, pour être une équipe plus réduite, plus agile. La course à la croissance, les coûts techniques dus à la complexité de la personnalisation, la double structure France et Chine, l'exigence toujours plus grande de reporting ont augmenté très rapidement nos coûts fixes. Les marges correctes pour le e-commerce (35%) étaient grignotées par la logistique, les coûts de SAV, de stockage, les promotions et le marketing. On ne gagnait que quelques euros par commande, et cela ne suffisait pas à absorber nos frais de structure. Plusieurs projets périphériques (showroom, BTB, communauté de designers) ont également été menés, et ce manque de focus nous a coûté cher. Notre organisation et nos process étaient toujours en avance de phase sur la croissance du business, et quand la croissance s'est ralentie, on n'était déjà plus une entreprise agile en termes de RH.

Olivier Mathiot. Et si c'était à refaire, que changerais-tu ? Es-tu dégoutée de l'entrepreneuriat ?

J'ai développé la théorie du "Gnou"

Emilie Gobin. Si c'était à refaire, je m'y prendrais différemment : industriel au capital, équipe de fondateurs réduite, investissement sur une marque forte et fiable, gamme resserrée, marketing de long terme, sourcing plus proche et plus fiable, positionnement clair et plus haut de gamme, arbitrage entre le court et moyen terme différents, structure plus légère... Ces 4 années se sont conclus par 6 mois éprouvants, mais je n'oublie pas à quel point j'ai été heureuse, j'ai appris, et connu l'ambiance formidable et le bonheur qu'on avait à tous aller au bureau. La faillite est d'autant plus dure que notre engagement était total ! Je ne suis pas dégoutée de l'entrepreneuriat : au contraire ! Désormais, j'accompagne des e-commerçants ou start-up et j'espère bien repartir pour une nouvelle aventure, forte de cette maturité. En revanche, je me suis faite la promesse (et je l'écris pour m'en souvenir ;-) d'être beaucoup plus intransigeante envers le projet, mes associés, mes équipes et moi-même, que ce soit dans la prise de décisions ou la confrontation aux chiffres, et d'appliquer au quotidien le tryptique "simplicité, focus et transparence".

Emilie Gobin. Et toi, Olivier, tu continues d'investir ? As-tu modifié tes critères depuis cette perte ?
Olivier Mathiot. J'ai développé la théorie du "Gnou", tu sais cet animal qui traverse le désert avec une endurance incroyable. En gros, je pense que l'entrepreneur doit être une tête de mule, un champion de la ténacité, tomber, se relever, traverser le désert en ayant besoin de très peu de liquide. Ne jamais se retrouver aux abois, et encore mieux, si possible, arriver de l'autre côté du désert avec encore un peu d'eau en réserve. La gestion de la trésorerie et le besoin en cash d'un projet est devenu mon 2ème critère après le choix de l'équipe ! Donc oui sur ces 2 critères je continue d'investir. Et je pense sincèrement que ceux qui se sont plantés arriveront les premiers au royaume céleste des entrepreneurs... C'est la devise de ma bible entrepreneuriale.

 Emilie Gobin a accompagné plusieurs start-ups en Australie et au Brésil, avant HEC Entrepreneurs. Avec deux anciens d'HEC et un industriel du meuble, elle crée ensuite L'Usine à Design qu'elle dirige pendant 4 ans. Toujours très impliquée dans l'univers des start-up et du web, elle accompagne désormais des entreprises du secteur.
Olivier Mathiot est directeur marketing et communication, et cofondateur de PriceMinister en 2001. Société vendue au groupe Rakuten en 2010. En poste chez Rakuten depuis 2010, Olivier Mathiot est également business angel. Jusqu'en 2000, il a été publicitaire, directeur de marque puis directeur commercial au sein des agences CLM/BBDO et DDB, en charge de marques grande consommation. Olivier Mathiot est diplômé d'HEC, spécialisation marketing.

mardi 15 octobre 2013

Les fossoyeurs de l’innovation | L'Âge de la multitude




Les fossoyeurs de l'innovation

Fossoyeur
Tout commence comme une sorte de message à caractère informatif. Un collaborateur vient voir le patron d'Orange et lui présente une idée dont il n'est pas peu fier : « Patron, comme nous sommes à la fois une entreprise de média et une entreprise innovante, nous pourrions consacrer une émission de télévision sur notre chaîne Orange Innovation TV aux grands patrons qui innovent dans les grandes entreprises. Ca consisterait à interviewer des dirigeants hyper-innovants et à mettre en valeur leurs innovations par rapport à celles des startups, qui nous donnent beaucoup de leçons mais dont on ne voit pas beaucoup les résultats. D'ailleurs on a déjà trouvé le titre, ça s'appellerait Les décideurs de l'innovation. On a mis au point un super générique à la Top Gun. »

Ravi, le patron d'Orange soutient cette idée : « Mon vieux, votre idée est géniale. Je fais banco, vous avez ma carte blanche. J'ai d'ailleurs quelques idées pour les premiers invités, regardons ensemble mon carnet d'adresses pour voir à qui je dois rendre service. »
Parmi ces premiers invités figure justement Nicolas Rousselet, patron des taxis G7 (qui n'opèrent pas que des taxis d'ailleurs, mais aussi une activité de location de voitures, des activités de logistique, de stockageetc.). Qu'il soit un invité d'une émission aussi audacieuse et disruptive que Les décideurs de l'innovation est un paradoxe : après tout, il est aujourd'hui engagé dans un vaste effort de lobbying pour contrer l'innovation dans le transport individuel de personnes en ville, dans des conditions abondamment détaillées ICI ou LA. Quoiqu'il en soit, dans une récente et exceptionnelle édition des Décideurs de l'innovation, Nicolas Rousselet nous expose sa vision de l'innovation. 
Et à ce point du billet, mieux vaut en finir avec l'ironie : l'innovation vue par Nicolas Rousselet mérite qu'on s'y attarde tant est elle est dérisoire et erronée à peu près du début à la fin. Voici quelques extraits et mes commentaires :
  • « l'innovation prend deux formes : l'innovation technologique, technique et l'innovation en termes de services, de nouveaux services » (1'50″) – eh bien non, à l'âge entrepreneurial, l'innovation ne prend qu'une seule forme, celle d'une offre nouvelle amorcée et valorisée sur un marché de masse grâce à la mise au point d'un nouveau modèle d'affaires. Les progrès technologiques sans changement de modèle d'affaires ni traction auprès de la multitude s'appellent simplement des gains de productivité… et se commoditisent en un clin d'oeil, sans permettre à l'entreprise de se différencier ;
  • « pour les GPS, tout ça, là on est vraiment à la pointe, ça fait très longtemps qu'on géolocalise tous nos taxis » (3'05″) – non non, si ça fait longtemps qu'on fait quelque chose, alors on n'est pas vraiment à la pointe. Ces derniers temps, les choses changent vite en matière de géolocalisation et de services associés ;
  • « rapprocher le client du taxi, du chauffeur, nécessite de la haute technologie » (3'18″) – pas du tout, ça nécessite tout au plus de l'amabilité de la part du chauffeur et, éventuellement, une application mobile, qui est quasiment à la portée du premier venu d'un point de vue technologique. Bien sûr, ça peut aussi nécessiter de l'innovation, c'est-à-dire un changement du modèle d'affaires : on rapproche d'autant mieux les taxis des clients qu'on fait alliance avec ces derniers, qu'ils sont ainsi incités à être actifs et donc producteurs de données. Cela, ça suppose de la confiance et ça se valorise d'autant mieux que les clients sont nombreux, bien au-delà de la clientèle premium (j'y reviendrai) ;
  • « chaque filiale dans le groupe est gérée de manière autonome, indépendante, par un manager intéressé sur ses résultats » (4'12″) – ce qui est précisément la caractéristique des entreprises non innovantes. L'innovation consiste à combiner de façon différente les composantes de l'activité de l'entreprise, quitte à ce que certaines déclinent si c'est le prix à payer pour le développement de l'entreprise tout entière. Un manager de filiale intéressé sur ses résultats fera tout pour tuer l'innovation dans sa filiale comme dans l'entreprise en général, de façon à protéger sa rente. C'est pourquoi – si du moins l'objectif est d'innover – un manager de filiale ne peut être intéressé au mieux qu'aux résultats de l'ensemble du groupe. Steve Jobs, traumatisé par sa lecture de The Innovator's Dilemma, l'avait bien compris et mis en pratique depuis longtemps chez Apple, notamment avec la notion de unified P&L ;
  • « nous avons gagné le prix de l'innovation 2010 de la chambre professionnelle du self-stockage » (5'00″) – c'est bien pratique de se créer ses petits prix de l'innovation maison pour faire croire au monde extérieur qu'on est innovant. Mais non, ça ne prend pas. L'innovation, à l'âge de la multitude, ça se mesure aux rendements d'échelle exponentiels et aux positions dominantes sur des marchés globaux. Aucune autre innovation ne contribue de manière significative au développement de l'économie française. Au contraire, le renforcement des situations de rente contribue de manière décisive à la stagnation du revenu par tête et à l'aggravation des inégalités ;
  • « on gère les taxis depuis pas loin de vingt ans de manière totalement numérique, avec le GPS » (6'50″) – si les taxis étaient gérés de manière totalement numérique, ils ne s'en tiendraient pas au GPS et auraient inventé Uber avant Uber. Souvenez-vous de cette citation fameuse de The Social Network sur les frères Winklevoss ;
  • « nos chauffeurs de taxi sont tous des indépendants. C'est un vrai partenariat, où la qualité de service est un leitmotiv » (8'00″) – des forums entiers sur la mauvaise expérience des taxis parisiens vécue par les touristes étrangers et les Parisiens eux-mêmes témoignent du contraire – ce qui prouve, par ailleurs, que le fait que les chauffeurs de taxi soient tous indépendants n'est pas forcément la meilleure formule pour assurer une qualité de service maximale. Comme le triomphe d'Apple nous l'a amplement démontré depuis 10 ans, l'unification de l'expérience utilisateur (ou une plateforme bien conçue, comme Amazon) sont les meilleures options pour garantir une qualité de service élevée ;
  • « on a lancé en décembre 2011 le club affaires premium, et là on a même un iPad mis à disposition, on a de l'eau, on a des lingettes » (8'10″) – nous sommes tous très impressionnés, mais il n'y a pas beaucoup d'innovation dans le fait d'enrichir l'offre de service pour les seuls clients qui paient très cher leur abonnement affaires premium. La fuite vers le premium – et le délaissement corrélatif des marchés de masse – est l'un des phénomènes qui détourne les entreprises françaises de l'innovation à l'âge de la multitude – et il y a bien d'autres exemples que les taxis G7. C'est heureux que Nicolas Rousselet assume sans fard qu'il ne s'agit que de fournir aux clients que quelques lingettes et bouteilles d'eau en plus : nous sommes décidément très loin de l'innovation ;
  • « on voit que ça ne roule pas très bien, il y a des gros progrès à faire pour améliorer les conditions de circulation dans Paris » (8'40″) – précisément, on ne roule pas bien dans Paris parce que trop de gens, insatisfaits du fonctionnement des transports en commun et ne pouvant s'offrir les services Affaires Premium Excellence Platine des taxis G7, choisissent de prendre leur véhicule personnel pour leurs déplacements en ville. Le développement des nouveaux modèles d'affaires autour de l'automobile en ville (auto-partage, VTC, etc.) vise en partie à dissuader les individus de prendre leur voiture et peut donc se traduire, à terme, par une décongestion de la circulation à Paris. Que les taxis G7 trouvent que les conditions actuelles sont mauvaises pour les affaires est un comble : d'abord les mauvaises conditions de circulation leur permettent de plus faire tourner le compteur (les taxis ont tout leur temps, ce sont les clients qui sont pressés) ; ensuite, les barrières réglementaires qu'ils défendent à toute force sont précisément la raison pour laquelle il est impossible d'améliorer les conditions de circulation dans cette ville de plus en plus difficile à vivre.
Bref, comme le résume si brillamment ce journaliste particulièrement dur en interview, avec les taxis G7, « ça roule pour l'innovation ». J'ajouterai deux choses sur Nicolas Rousselet et les conditions réglementaires de l'innovation dans les transports urbains :
  • « il faut que les VTC restent sur le métier pour lesquels ils ont été créés » déclarait-il au mois de juillet, cité par un article du Figaro. Wrong again : encore une fois, quand il s'agit d'innovation, l'objectif est précisément de faire bouger les lignes qui séparent les différentes activités et d'en faire la synthèse dans un nouveau modèle d'affaires, centrée autour de l'utilisateur – condition de l'alliance avec la multitude. Le déploiement d'une offre de qualité à très grande échelle est l'objectif stratégique à l'âge entrepreneurial et le seul coeur de métier des startups innovantes, comme nous le rappellent Steve Blank et Paul Graham. Ca n'a aucun sens, dans un monde où la technologie évolue en permanence et où la multitude révèle sans cesse de nouveaux besoins, de demander à une entreprise de rester sur le métier pour lequel elle a été initialement créée. On peut le faire bien sûr, mais il faut assumer alors qu'on renonce à l'innovation – moteur du développement économique, facteur de création d'emplois et de réduction des inégalités et, accessoirement, contribution décisive à l'amélioration du quotidien des consommateurs ;
  • on apprend aujourd'hui, dans un article du Monde, que « le délai de 15 minutes [entre la commande d'un VTC et la prise en charge] s'appliquera à tous les clients des VTC, hormis les hôtels haut de gamme et les salons professionnels ». Belle victoire de lobbying, en tous points contraire à l'intérêt général, et stupéfiante si l'on songe qu'elle a été consentie par un gouvernement de gauche. Si l'on résume la situation, les riches clients du Royal Monceau et les VIP du salon de l'automobile seront servis sans attendre ; par contre, les moins riches attendront ou prendront le bus et les entrepreneurs innovants seront noyés dans la baignoire. (Rappelons encore une fois que l'innovation de rupture arrive toujours ou presque par les activités à faibles marges sur les marchés à faible marge. Si l'on restreint les offres innovantes aux seuls clients premium, il n'y a pas la masse critique pour imposer une innovation de rupture.)
L'innovation meurt d'être mal comprise. Il n'y a pas meilleur contrepoint à la vision de Nicolas Rousselet que les rappels ci-après sur ce qu'est l'innovation, pourquoi elle est importante et comment la favoriser.
L'innovation ne peut pas prospérer en présence de verrous qui rigidifient l'économie et protègent les positions existantes. La seule existence de ces verrous, notamment législatifs et réglementaires, dissuade toute allocation du capital à des activités qui font bouger les lignes dans les secteurs concernés. Quel intérêt d'investir dans une entreprise innovante se développant en France dans le secteur des VTC, puisque le rendement sur capital investi sera dégradé voire annulé par le verrou réglementaire qui protège la rente des taxis ? Il est beaucoup plus rentable d'allouer du capital à une entreprise américaine qui, elle, va triompher des obstacles réglementaires et conquérir un immense marché.
pacman
Dans ces conditions, les entreprises américaines prospèrent, tandis que les françaises sont littéralement empêchées de naître. Et lorsque les utilisateurs français (ou les touristes) n'en pourront plus de la mauvaise qualité du service de transport individuel de personnes à Paris et qu'ils obtiendront enfin l'abaissement de la barrière réglementaire, seules les entreprises américaines auront la qualité de service et l'infrastructure nécessaires pour prendre le marché français. (De même que quand la chronologie des médias sera enfin adaptée aux nouveaux modes de consommation des contenus cinématographiques et audiovisuels en ligne, seule Netflix, pas Canal+, sera en mesure de se déployer auprès des utilisateurs français).
Dans un cadre juridique hostile à l'innovation, on voit bien qu'une politique publique de soutien financier à l'innovation est vaine. On peut allouer tout l'argent qu'on veut à OSEO, à BPI France, à la sanctuarisation du CIR et du statut de jeune entreprise innovante, les entreprises ainsi financées ne parviennent pas à lever du capital puisque les gestionnaires de fonds identifient parfaitement les barrières juridiques à l'entrée sur les différents marchés et en déduisent qu'un investissement dans les entreprises concernées ne pourra jamais être rentable. En présence de verrous juridiques protégeant la rente des entreprises en place, l'argent public dépensé pour soutenir l'innovation est comme de l'eau froide qu'on verserait sur une plaque chauffée à blanc : elle s'évapore instantanément.
Le problème serait circonscrit si de tels verrous législatifs n'existaient que pour les VTC. Mais, loin de se cantonner à un seul secteur, ils se multiplient. Les industries créatives sont déjà affectées depuis longtemps par les entraves à l'innovation. Les hôteliers déploient un lobbying à grande échelle pour que la loi soit durcie et les protège sur trois fronts : celui des intermédiaires déjà en place sur le marché de la réservation de chambres d'hôtels ; celui de Google, qui rentre sur ce marché avec Hotel Finder ; celui d'AirBnB, qui intensifie la concurrence sur le marché de l'hébergement en faisant arriver sur le marché les chambres et habitations mises sur le marché par les particuliers. Les libraires semblent en passe d'obtenir une interdiction de livrer gratuitement à domicile les livres commandés via les applications de vente à distance. Bref, à mesure que le numérique dévore le monde, les incendies se déclarent un peu partout et la réponse est toujours la même : on érige une barrière réglementaire qui dissuade l'allocation de capital à des activités innovantes et empêche donc à terme l'émergence de champions français dans ces secteurs.
Sur tous ces dossiers, nous payons très cher l'inexistence d'un lobby français de l'innovation. Il n'est pas du tout évident qu'un tel lobby puisse exister. Aux Etats-Unis, il s'est constitué et il déploie sa puissance en raison d'une double anomalie : les entreprises ont le droit de financer les campagnes électorales ; et les entreprises les plus riches, dont la capitalisation boursière est la plus élevée, sont aussi les plus innovantes. Au lobbying de ces entreprises s'ajoute celui d'une organisation, la National Venture Capital Association, qui défend les intérêts des fonds de capital-risque, y compris contre les intérêts du private equity, des banques d'affaires et des banques de dépôt.
Il n'existe rien de tel chez nous : aucune de nos plus grande entreprises n'est une entreprise innovante, une valeur de croissance comme le sont les géants californiens du numérique ; nos fonds de capital-risque sont rares, dispersés, dilués sur le front institutionnel dans l'Association française du capital investissement ; enfin, les entrepreneurs innovants comme les gestionnaires de fonds de capital-risque sont largement méconnus ou ignorés par les hauts fonctionnaires de la direction générale du Trésor, les membres des cabinets ministériels et, évidemment, les parlementaires.
Il ne peut exister qu'une seule politique publique de l'innovation. Son motif est que l'innovation est le principal facteur de la croissance et moteur du développement économique. Sa règle cardinale est que toutes les décisions de politique publique, sans exception, doivent être prises dans un sens favorable à l'innovation : en matière de financement de l'économie ; en matière de réglementation sectorielle ; en matière de fiscalité et de protection sociale. Aucune autre politique publique que celle-là ne peut être favorable à l'innovation.
Si les exceptions se multiplient, si l'innovation n'est plus qu'une priorité parmi d'autres, si l'on n'abaisse pas les barrières réglementaires à l'innovation de modèle d'affaires, alors notre destin est scellé : notre économie sera bientôt tenue exclusivement par des gens qui, bien qu'ils se prétendent décideurs de l'innovation, en sont en réalité les fossoyeurs.
Nicolas Rousselet, les taxis G7 et tous ceux qui les soutiennent au Parlement ou dans l'administration ne sont qu'un avant-goût de ce sombre avenir : bientôt, notre économie ressemblera à celle de ces pays du Tiers-Monde où l'homme le plus riche du pays, par ailleurs frère ou beau-frère du chef de l'Etat, a fait une immense fortune grâce à un monopole mal acquis sur l'importation des Mercedes d'occasion. Dans une telle configuration, on a tout gagné : des distorsions de marché, l'atrophie de la production locale, une valeur ajoutée réduite à néant, une croissance au ralenti et des inégalités de plus en plus insupportables.
Est-ce cela que nous voulons ? Et sinon, qu'attendons-nous pour agir ?


dimanche 13 octobre 2013

ParisTechReview : Onomastique et Big Data

Onomastique et Big Data

Aujourd'hui, le principal domaine d'application professionnelle de l'onomastique est le choix du meilleur nom pour qu'une entreprise ou un produit se démarque sur le marché international. Onoma – racine grecque du mot – est aussi une marque déposée de Nomen, l'agence de création de marques fondée par Marcel Botton en 1981, celle-là même qui a exploité le « Radoteur », générateur de noms inventé par Roland Moreno, et créé de nombreuses marques mondialement connues telles que Vinci, Clio ou Amundi. Pour autant, même lorsque leur entreprise a été baptisée, les dirigeants n'en ont pas terminé avec l'onomastique. La mondialisation, le numérique et le Big Data sont autant de facteurs susceptibles de perturber les secteurs de la vente et du marketing, de la communication, des ressources humaines, de la gestion des risques. Ils ouvrent en même temps de nouveaux champs d'expérimentation pour des technologies innovantes. Et, bien que l'analyse par les noms comporte un risque d'abus non négligeable, elle peut aussi trouver des usages positifs et inattendus, comme d'aider à développer certaines régions dans le monde.

Pour consulter la suite de l'article : http://www.paristechreview.com/2013/09/17/onomastique-et-big-data/

mercredi 9 octobre 2013

DISRUPTIVE INNOVATION or DISRUPTIVE TECHNOLOGY?

Je vais tenter de donner ma position sur le sujet.

Tout d'abord je préfère le terme de Disruptive "Innovation" à celui de "Technology", car c'est pour moi avant tout une vue de l'esprit, qui rompt avec le connu, qui par conséquent est en rupture.

Chez THIS, nous ne croyons pas aujourd'hui à une "révolution", plus à une prise de conscience formelle concernant le potentiel de ces nouvelles formes de tendances technologiques en tout cas dans le texte. D'abord parce qu'en fonction de la culture "business" de ceux et celles qui les entrevoient elles vont être appréhendées différemment et ensuite, il est très difficile de prédire dans ce secteur.

Comme le souligne Lionel ARTUSIO, bien malin celui qui annoncera le nom de la filière qui sera la plus fertile en terme d'innovation ou de technologies "disruptives".

Qui a vu arriver Candy Crush? Même pas son géniteur et pourtant c'est parait-il une véritable révolution dans l'industrie des jeux, complètement "disruptif". Les Gamers le savent bien, le modèle est plus qu'innovant pour un jeu dit "gratuit". Car la gratuité n'est valable que pour l'accès au jeu, pour le reste il en est tout autrement… Candy Crush génère aujourd'hui à peu près 470M € de CA par jour.

C'est donc à notre avis, ce qu'elles révèleront en terme d'impact sur les places de Marché à posteriori, qui feront d'elles des Innovations (ou Technologies) "disruptives" ou pas. Ce qui met en exergue l'importance du savoir-faire pour accompagner ces dernières sur le lieu de la confrontation économique.

Les entreprises ont aujourd'hui de nombreux leviers à leur disposition pour accéder à une croissance technologique à travers l'innovation que tout le monde semble attendre.
Pour ne parler que d'un seul, l'OpenData est à notre avis (un des leviers) une des filières à surveiller et à investir au propre comme au figuré.
Toutes ces données encore "brutes" pourraient engendrer de grandes idées, concepts ou services une fois organisées, digérées et packagées. Les entreprises du secteur ont donc tout intérêt à s'en préoccuper rapidement et il nous semble que c'est le cas. D'importants bénéfices sont à en tirer comme le souligne très justement cet article sur l'opendata au Danemark: http://bit.ly/RY5JTl.

Pour notre part, nous pensons que ce sont les esprits qui doivent devenir "disruptifs" afin que les mentalités évoluent et que la culture d'entreprise fasse sa propre révolution vers l'extérieur. Il faudra de toute façon, tôt ou tard, moins d'égocentrisme.

Le nombre de versions "bêta" ou "zero" qui attendent de devenir "parfaite" dans les unités de R&D n'auront aucune chance de réaliser un exploit économique et marchand si elles ne sont pas confrontées au marché, à la cible.
Elles sont "légion" dans notre métier. Quel dommage pour certaines!

Alors, pour répondre à la question posée, sommes-nous capable d'identifier et de développer les vraies technologies du changement?

Je dirai simplement que la mutation que nous connaissons (subissons) aujourd'hui dans notre environnement économique et social est selon nous propice à l'émanation d'idées, de concepts, qui pourront être qualifiés de "disruptifs". Il faudra être simplement vigilant de ne pas oublier deux principes: le premier, c'est le marché qui décide dans tous les cas et le second, comme c'est le marché qui décide, la capacité à installer l'innovation sur ce marché sera prépondérante. C'est la loi du premier entrant.
L'economie du ras-le-bol pourrait bien laisser place à un phénomène disruptif, impactant l'économie, non pas dans son fonctionnement dans un premier temps mais plus en profondeur, dans sa conception...
En ce qui concerne le développement, nous devrons continuer à faire confiance aux compétences, à l'expérience et aux réseaux... Entre autre.


Lyonel SIREUILLE.