jeudi 19 décembre 2013

Et si le management était un art? Entretien avec Michel Berry




Et si le management était un art?


ParisTech Review – Aux sources de l'Ecole de Paris du management, il y a la question de la singularité des pratiques, sur laquelle bute le projet d'un management scientifique. Partons de ce moment où les sciences de gestion entrent en crise. Peut-on le dater ?
Michel Berry – On peut dater, en tout cas, le moment où cette crise est formulée pour la première fois, au tout début des années 1980. Mais pour comprendre ce qui s'est joué alors, il nous faut revenir deux décennies en arrière.
Les sciences du management se sont développées dans les années 1960, autour d'un rêve : être au décideur ce que la balistique est à l'artilleur, une méthode infaillible, permettant de tirer au but à coup sûr.
Jusqu'alors, la gestion était enseignée dans les business schools par des managers, des praticiens qui extrapolaient à partir de leur expérience. Le moment des années 1960 est une rupture : on peut le définir comme une prise de recul, avec la constitution d'un corpus de méthodes et de théories.
On assiste alors dans les universités américaines à l'émergence de véritables départements de management, qui font de la recherche. La discipline se structure. Des sous-disciplines apparaissent, comme autant de territoires balisés par des revues, des processus d'évaluation, de reconnaissance, de cooptation. On passe ainsi en quelques années d'un domaine envisagé et enseigné comme une pratique à une discipline organisée selon le modèle des sciences dures. La littérature spécialisée est un excellent témoin de cette évolution : les chercheurs se focalisent sur des critères formels, tentent de modéliser leur pensée en usant de formules mathématiques, testent leurs hypothèses grâce à des batteries de tableaux statistiques…
tableaux
C'est à cette époque, notons-le au passage, que se sont développés les indicateurs de gestion qui ont ensuite envahi les entreprises. Certes, depuis l'entre-deux-guerres l'organisation scientifique du travail avait posé les premiers jalons de cette tendance, mais c'est dans les années 1960 que l'idée d'un management scientifique prend toute son extension. S'il fallait citer un nom ici, ce serait celui de Herbert Simon, le président du Département de management industriel à Carnegie Tech, qui reçut le prix Nobel en 1978. Il a beaucoup fait pour développer la discipline et lui donner un cadre rigoureux.
Ce management « scientifique » sort-il rapidement de l'enceinte des universités ?
Oui, il est au cœur de la grande transformation qui anime alors le monde industriel. L'esprit de cette transformation, c'est l'idée d'optimisation et de rationalisation. Ce sont des années de forte croissance économique, et on cultive l'idée de maîtriser rigoureusement cette croissance. Dans les pays européens, l'idée de planification est alors au centre du jeu, et aux Etats-Unis on entreprend de rationaliser les entreprises, les processus de décision, la mesure des résultats : tout devient objet de calcul économique. Le dirigeant, par définition, c'est alors celui qui maîtrise ce calcul.
Les résultats sont d'abord extraordinaires. Les Européens observent avec envie et une pointe d'inquiétude ces succès américains, que certains observateurs associent à un effet d'échelle mais que d'autres, comme en France Jean-Jacques Servan-Schreiber, attribuent à un management gap. Des centaines d'étudiants sont alors envoyés dans les universités américaines, et dans les Grandes Ecoles on commence à s'intéresser de très près aux sciences de gestion.
Cela a marché quelque temps, pour des raisons qu'on peut aujourd'hui comprendre : dans une économie de pénurie, où la grande question est de parvenir à satisfaire la demande, la rigueur et l'optimisation sont des qualités précieuses. Plus subtilement, les managers ont pu pendant un temps arguer du caractère scientifique de leurs décisions, ce qui les a aidés à se faire obéir et a contribué à la bonne marche des organisations. Toute une mythologie s'est alors développée autour de cette idée de méthodes qui devaient triompher non pas seulement par leur qualité intellectuelle, mais parce que c'étaient les méthodes des vainqueurs – de ceux qui avaient gagné la Deuxième Guerre mondiale, et qui triomphaient aussi sur le plan économique.
Mais dès les années 1970, en partie sous l'effet des chocs pétroliers et des fluctuations des changes, l'économie américaine ralentit. Les grands conglomérats comme GM ne sont plus perçus comme de magnifiques machines bien huilées, mais comme des géants un peu amorphes, dont les produits ne font plus rêver. Car en face sont apparus des concurrents redoutables, aux méthodes très différentes : les Japonais.
Les Japonais signent l'échec du management scientifique ?
D'une certaine vision scientifique du management, en tout cas. C'est le constat que dresse en 1982 un livre qui a marqué son époque, In Search of Excellence (traduit en français l'année suivante sous le titre Le Prix de l'excellence). Les auteurs, Thomas Peters et Robert Waterman Jr, expliquent le succès des Japonais par l'intelligence de leurs méthodes industrielles, qui composent un cocktail bien différent : « trois grammes de science, un litre de sentiment » ! Ce qui compte, c'est l'homme. L'approche japonaise, à travers différentes formules dont le fameux toyotisme ou encore les démarches qualité mises en œuvre à travers la méthode kaizen, est d'abord pragmatique. Elle ne planifie pas, ne prétend pas tout maîtriser du début à la fin, mais s'appuie sur l'apport des employés, enrôlés dans une logique d'amélioration permanente.
Il y avait, dans l'expérience japonaise, des leçons très profondes. Mais le pli était pris : on en tira surtout des catalogues de recettes… Et si les mathématiques étaient remises en cause, on conserva l'idée qu'il existait des méthodes universelles.
Kaizen
Dès les années 1970 cependant, un certain nombre de chercheurs et de praticiens ont commencé à s'interroger. C'est par exemple à ce moment que le Centre de gestion scientifique de l'École des Mines commence à évoluer. Il avait été fondé dans les années 1960 avec l'idée de trouver les bons modèles, mais dès les années 1970 il s'engage dans une démarche bien différente, de compréhension des mécanismes profonds des organisations. Le Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique, créé en 1972 par Bertrand Collomb et que je dirige à partir de 1975, prend une voie semblable, les deux centres dialoguant de concert. Ils ont fondé les bases d'une recherche clinique, c'est-à-dire menée au plus près des réalités du terrain, contrairement aux travaux des business schools, souvent coupées de la pratique, aussi surprenant que cela paraisse.
… et au début des années 1990 est créée l'École de Paris du management, qui se définit explicitement en réponse à la crise du management scientifique.
Notre intuition était la suivante : si les problèmes sont universels, les réponses sont singulières. Elles diffèrent d'un endroit à un autre, d'un secteur à un autre, mais aussi, comme l'a montré en 1989 Philippe d'Iribarne dans son remarquable ouvrage La Logique de l'honneur, d'un pays à un autre.
Sur le terrain, les bonnes réponses sont singulières, pas toujours reproductibles. Elles demandent une inventivité extraordinaire et souvent méconnue. C'est cette intelligence du singulier que j'ai voulu valoriser en créant l'École de Paris du management, qui n'est pas une institution d'enseignement supérieur, mais bien plutôt un lieu d'échange et de réflexion sur les pratiques, envisagées dans ce qu'elles ont d'unique, de singulier.
Mais le risque existe de rester prisonnier de cette singularité : une expérience, au fond, ne renverrait qu'à elle-même.
C'est un risque, en effet, mais il est assumé, et j'irai plus loin : il est en quelque sorte intégré à la méthode. Une de nos séances récentes était organisée autour du leader de la patrouille de France. On est bien, ici, dans l'extrême singularité. Mais c'est précisément en l'explorant qu'on peut développer des idées nouvelles, qui permettront de mieux comprendre, ici et là, d'autres situations. L'introduction du volume XIX des Annales de l'École de Paris, regroupant tous les travaux de 2012, a pour titre « À la manière de la Patrouille de France », pour avancer qu'elle est peut-être un paradigme de l'entreprise efficace de demain.
L'idée centrale, c'est de raisonner par études de cas, non pas en les analysant de l'extérieur – au risque de rabattre l'inconnu sur du connu – mais au contraire en les faisant raconter par les acteurs. La façon dont la pratique nourrit les décisions me semble, d'une manière générale, occultée. Faire parler les acteurs, leur faire raconter leur histoire, offre la possibilité de sortir de cette impasse.
Tout d'abord ce sont eux qui parlent, et ils ne sont pas des théoriciens : même s'ils utilisent des éléments de langage théorique, ils sont d'abord et avant tout porteurs d'une expérience particulière, d'une histoire vécue de l'intérieur, qui ne se laissera pas aisément réduire à un langage convenu. Et, justement, la forme utilisée, le récit, joue ici un rôle central. Elle permet d'abord de communiquer cette expérience de façon vivante, mais elle permet surtout une mise en forme personnelle, située : le récit, c'est ce qui permet de dire ce qu'on a vécu.
C'est d'une certaine façon le contraire d'un PowerPoint. Car l'antimodèle, de mon point de vue, c'est ce que sont trop souvent poussés à faire les consultants : ils arrivent dans une entreprise et entreprennent de plaquer leur modèle, en ignorant généralement tout de l'histoire de cette entreprise ou, pire, en faisant comme si elle n'avait jamais eu lieu. Or elle a eu lieu, précisément : cette histoire s'est déroulée dans un endroit particulier. Et c'est justement cette histoire qui mérite d'être entendue pour comprendre une organisation construite au fil de temps, à mesure que se présentaient des problèmes auxquels devaient être apportées des solutions, parfois improvisées, parfois élaborées patiemment.
Bien sûr, il est bon d'apporter dans une entreprise un peu d'air frais, de donner idée de ce qui se fait ailleurs, des solutions élaborées à l'extérieur. Mais il me semble que le monde industriel d'aujourd'hui survalorise les solutions extérieures, celles des consultants précisément, et peine à reconnaître les solutions souvent inventives développées à l'intérieur des entreprises. L'Ecole de Paris cherche très précisément à les mettre en lumière. Ce qui est une façon de les mettre à l'honneur.
Raisonner par études de cas est aujourd'hui très répandu dans les écoles.
Oui, et du reste c'est une tradition déjà ancienne. Mais elle fut longtemps marginale, et elle le reste au sein de la recherche académique. C'est l'université de Harvard qui a inventé la méthode des cas, au début du XXe siècle. Le département de management était au départ rattaché à la faculté de droit, et vous savez que dans un régime de common law, on raisonne essentiellement à partir de la jurisprudence et donc des études de cas. Harvard a donc développé et raffiné cette culture de cases studies, qui fait d'elle, aujourd'hui encore, l'université la plus proche des entreprises. Ce qu'on ignore c'est que, pour les chercheurs, s'engager dans cette démarche s'apparente à un suicide professionnel car en faisant des cas vous n'avez généralement pas le temps de rédiger autant de publications que vos concurrents. De deux choses l'une, donc : soit vous êtes titularisé par Harvard (et votre tenure est confirmée dans les six ans), soit vous ne valez plus grand chose sur le marché académique. Car dans les autres universités américaines on fait de la recherche et non des cases studies.
Harvard est donc relativement isolée. Certes, les études de cas sont pratiquées dans les business schools, mais d'une façon beaucoup moins ambitieuse : les cas sont toujours envisagés comme des exemples d'une leçon plus générale. Ce n'est d'ailleurs pas illégitime, entendons-nous bien. Mais on peut aussi, et c'est tout aussi intéressant, s'intéresser à lui dans ce qu'il a d'unique, de singulier.
Cela n'est pas sans conséquences, car cela amène à déplacer le focus. Par exemple, en insistant sur la singularité des situations on est amené à valoriser l'intelligence du manager, à faire la part de l'acteur, du praticien. C'est une autre façon de considérer l'entreprise, bien loin des visions qui réduisent les hommes à des points sur une matrice. Les managers ne sont pas substituables, on ne peut les déplacer comme des pions sur un jeu de dames.
Ensuite, se pose la question de ce que l'on peut apporter à un praticien. À ce titre l'expérience qu'il fait en venant raconter son histoire est très importante, et peut nous mettre sur la piste : ce travail de mise en forme est un moment crucial, et on peut l'aider – notamment dans l'échange qui suit la présentation, mais aussi dans le travail de préparation en amont – à penser, à réfléchir. On peut l'aider à formuler son expérience. En prenant soin, bien sûr, ne pas la formuler à sa place, au crible de ce que l'on sait déjà.
Du reste, un apport théorique peut être bienvenu pour l'aider à mettre en forme son expérience. Les théories peuvent aider, à condition de les utiliser de façon non normative.
La dimension littéraire semble être un des points saillants de votre méthode.
Absolument, et à plusieurs titres. Le récit, je vous le disais, est fondamental. La narration est un moyen de donner à penser, et elle permet de mobiliser l'aspect temporel et tout ce qui s'y rapporte – la durée, les événements, les coups de théâtre, les moments d'accélération, d'attente, de suspens. Un des plus grands livres sur la finance, c'est un roman de Zola : L'Argent. Raconter permet de comprendre bien des choses, y compris pour celui qui raconte.
Le compte rendu qui est fait de chacune des séances est extrêmement travaillé sur le plan littéraire, et certains de ces textes sont devenus des best-sellers, lus par des dizaines de milliers de lecteurs. Nous avons plusieurs rapporteurs, qui sont de véritables auteurs. Ce n'est pas seulement qu'ils écrivent bien, c'est qu'ils s'engagent dans le texte comme le ferait un écrivain : même s'il est évidemment impératif qu'ils soient fidèles au propos original, leurs comptes rendus sont bien autre chose qu'une simple retranscription.
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Mais le récit oral et le compte rendu écrit ne sont pas tout. Il y a aussi les échanges, et on s'inscrit ici dans une tradition séculaire, celle des salons philosophiques du XVIIIe siècle et de l'art de la conversation. On aurait tort de prendre cela à la légère : sans même remonter à Platon, une conversation bien menée est un moyen de faire surgir des idées, de faire progresser la compréhension d'une situation. Les dirigeants sont souvent isolés, et ils apprécient les échanges d'expérience. Un dialogue entre praticiens, mais aussi entre des praticiens et des chercheurs, enrichira les uns et les autres. Vous l'aurez compris, ce qui se dessine derrière cette approche, c'est une certaine attention à l'humain. On pourrait parler, à ce titre, d'un projet humaniste.
Par opposition au management scientifique, ne faudrait-il pas alors parler d'une culture du management ?
Si, et c'est probablement ainsi que l'on peut dépasser le piège de la singularité : la formation d'une culture managériale est au centre de notre projet, qui s'articule autour de la mise en commun du singulier.
J'irais d'ailleurs plus loin : le management, ainsi conçu, peut être défini comme un art. Une décision peut être observée, et parfois admirée, comme une œuvre. Une œuvre, c'est à la fois un geste profondément individuel, qui engage un style, et un geste enraciné dans une tradition, dans des références – une culture.
C'est important, les œuvres. Et ça l'est d'autant plus que pour de multiples raisons, l'enseignement du management a aujourd'hui tendance à se standardiser. Au début des années 1990, j'avais pu observer le développement d'une critique générale et radicale des business schools aux Etats-Unis : on leur reprochait de s'être enfermées dans des modèles académiques, d'ignorer la réalité des entreprises. Cette critique les a amenées, dans un premier temps, à rechercher des voies alternatives, en s'intéressant à des expériences comme celle de l'École de Paris. Mais à partir de 1996 l'économie américaine est repartie et la critique des business schools s'est calmée, alors qu'elles n'avaient pas encore beaucoup changé. L'appétence pour des schémas alternatifs a diminué.
Depuis le début des années 2000, le monde entier cherche à copier les business schools américaines les plus prestigieuses. Il en ressort une certaine standardisation, encore renforcée par une obsession des classements qui tend à tuer l'originalité. Un élément de cette standardisation est la place croissante des critères liés à la recherche académique dans ces classements. Cela promeut des profils assez homogènes, loin du terrain, qui se résument dans la figure du chercheur global anglophone publiant dans des revues classées « A ». Fort bien ; mais ils se ressemblent tous, et où sont les pratiques dans tout cela ? L'enseignement du management, qui s'était libéré dans les années 1990 des entraves du « management scientifique », est retombé aujourd'hui dans une sorte de scolastique – un discours quasi théologique, qui formate le langage et les esprits, de plus en plus éloigné de la réalité.

C'est dans ce contexte qu'il me semble pertinent d'envisager le management comme un art. Cela remet la singularité des pratiques et des styles au centre du jeu. Cela remet la réalité au centre du jeu. Cela permet la formation, la transmission, mais aussi la critique. La critique joue en effet un rôle majeur en art, même si les artistes la trouvent injuste : elle les pousse à se dépasser, et elle contribue à une mise en scène, une mise en intrigue de l'art qui captive le public et stimule en retour la création. Cette fonction manque cruellement dans le management. On entend certes souvent des propos critiques sur le management des entreprises, mais ce n'est pas comme en art une critique de connaisseurs qui fait avancer, mais souvent une opposition entre une vision tout en blanc et une vision tout en noir qui ne fait guère avancer. C'est pour cela que nous attachons tant d'importance au débat, à l'École de Paris : c'est notre fonction de critique artistique, l'art en question étant ici le management.
La transmission me semble aussi un problème capital et totalement sous-estimé. L'enseignement n'assure qu'une partie de cet enjeu. On peut enseigner des modèles, ce n'est même pas très difficile. Mais comment transmettre ce qui fait la réelle qualité d'une décision, la réelle qualité d'un manager ? Cela s'apprend bien souvent sur le terrain, au jour le jour. Considérer le management comme un art permet d'aller un peu plus loin, en envisageant d'autres formes d'apprentissage, plus élaborées.

Aujourd'hui, on est pris entre le côté abstrait et standardisé de l'enseignement des modèles – qui au fond n'apprend pas grand chose au futur manager – et à la réalité de l'apprentissage sur le terrain, qui est informel et lacunaire. Il y a place pour une troisième voie.
À quoi pourrait-elle ressembler ?
Reprenons l'image de l'œuvre d'art, qui peut nous livrer quelques pistes. Dans la formation d'un artiste, il y a l'acquisition des bases : le solfège pour les musiciens, cadrer une vue pour un cinéaste… Ces bases peuvent être enseignées. Et bien, de la même façon, on peut enseigner à un futur manager des éléments de comptabilité, de finance, de gestion de production, de marketing…
Mais ces bases, qu'on apprend à l'école, ne sont qu'un préalable. Et c'est là que l'exemple des artistes permet d'avancer. Car leur formation n'est jamais achevée, et elle se poursuit au sortir de l'école sous une autre forme : les artistes, continuellement, se cultivent. Un cinéaste passe son temps dans les cinémathèques, un peintre dans les musées, tout en étant curieux, voraces même, d'œuvres très différentes des leurs. De la même façon les managers gagnent à être cultivés : avoir une idée des théories, bien sûr, mais aussi connaître les œuvres des autres, sans hésiter à s'intéresser à des organisations très différentes des leurs.
Cette culture, envisagée comme une méthode d'apprentissage, me semble essentielle. C'est l'un des enjeux de l'École de Paris, mais c'est aussi de cette manière que l'on pourrait appréhender les différents moments qui, au cours d'une vie, mettent un manager en présence d'expériences différentes – d'œuvres différentes, si l'on file la métaphore. Ces moments, ce sont par exemple les stages, et l'importance d'avoir un bon maître de stage est essentiel car c'est grâce à lui que vous pouvez saisir le sens et l'intérêt de ce que vous observez ; ce seront aussi les moments d'apprentissage qui se présentent au fil d'une carrière, quand elle est bien gérée.
Mais pour un manager, les occasions de se cultiver par l'expérience ne sont pas suffisamment nombreuses, ou plus exactement elles ne sont pas suffisamment variées. D'où l'importance d'une médiation, qui lui donne accès à d'autres expériences ; d'où aussi la nécessaire constitution d'une mémoire. Il y a cette formule bien connue des médecins : L'art est long et la vie est courte. C'est ainsi qu'on devrait envisager ce qu'on appelle aujourd'hui la « carrière » d'un manager : un apprentissage, long et varié, qui permet au fil du temps d'acquérir la culture, le savoir-faire, le coup d'œil auxquels on reconnaît un maître.

jeudi 12 décembre 2013

Five Types of People Who Kill Innovation | 15inno


Five Types of People Who Kill Innovation.


Who are the people that kill innovation in corporate organizations? Here is my take on five types. Let me know what you think and what you can you add.


Executives, who do not get innovation: The actions of executives continue to be the single-most important element when it comes to making innovation happen in organizations. Check these blog posts:

Does the Smartest Guy in the Room Kill Innovation?
Executives, Not Six Sigma, Kill Innovation
No CEO Engagement, No Innovation?


Incompetent innovation directors: These people must be able to fulfill the needs of current and future markets. They must be able to bring internal as well as external resources together in order to make this happen. At the same time, innovation directors need to know how to play the political game that is always played in organizations. This is a tough job and there is no room for incompetent people.


Informal leaders: Some people just have more influence than others even though they are not formal leaders. But by being just what they are – informal leaders – they can make or break projects that can help build a stronger innovation culture. Unfortunately, some informal leaders like the status quo, which can become a big hindrance for innovation.


Key people, who miss the bigger picture: Every innovation project has several key people attached to it. They are valuable because they contribute with very specific knowledge. However, they also become a liability if they only focus on their own contribution and fail to understand the value of contributions from other functions or from people outside the organization. We need more t-shaped people.

We can also argue that middle managers fall into this category. It is a bit strange, but they often hinder innovation by just doing their job (get things done), which often does not include a big picture view. To be fair, this one circles back to the executives, who must make an effort not to put middle managers in such a situation.

YOU: You kill innovation when you stop challenging the status quo, when you stop believing and when you stop pushing the limit.
It only takes a few people with the wrong mindset in the "right" places to kill innovation. Don't be one of them.

By Stephan Lindegaard.


[Infographie] 12 actions à mener pour passer d'une simple idée à la réalité d'une entreprise - Maddyness





[Infographie] 12 actions à mener pour passer d'une simple idée à la réalité d'une entreprise 293


Le passage de l'idée au projet nécessite quelques étapes de validation qu'il est important d'avoir en tête. C'est ce qui est appelé dans cette infographie réalisée par SampleQuestionnaire, la phase d'incubation, au premier sens du terme. Les hypothèses germent, les cas sont analysés, les pistes sont à la fois validées, puis invalidées. Voici quelques solutions à explorer pour accélérer cette phase d'exploration.
Croire en soi, avoir une démarche positive est déjà la première des actions à mener. Si l'échec n'est pas une sanction définitive, les issues sont nombreuses et il est nécessaire de persévérer. Se faire accompagner, s'entourer de coaches et de mentors est une des clés de succès. S'il est toujours bon de bénéficier de conseils, il est également important de savoir faire la part des choses: trop de conseils, tue la productivité et parfois aussi le bon sens.

Une idée, c'est 1% d'inspiration et 99% de transpiration

Prendre des risques de manière calculée est un point fort de l'état d'esprit des entrepreneurs, qui réalisent parfois qu'une décision peut être "un mal pour un bien". Patientez votre tour viendra, maintenez la tête hors de l'eau et sachez saisir les opportunités au bon moment. L'histoire d'une startup s'écrit sur le long terme et les étapes de développement risquent d'être plus longues que prévues.
Comment garder la tête froide et faire en sorte que son idée prenne forme? Simplement l'organisation. En prenant le temps de calculer le temps à dédier à chaque tâche (roadmap + deadline), les indicateurs à formaliser et surveiller grâce à un tableau de bord.

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lundi 2 décembre 2013

Start-up: démarrer et croître sans levées de fonds est-il envisageable ? | L'Atelier: Disruptive innovation


Start-up: démarrer et croître sans levées de fonds est-il envisageable ? | L'Atelier: Disruptive innovation


Interview croisée de Alexis de Goriainoff et David Brette, respectivement PDG et Président associé de Sewan Communications, société proposant des solutions de communication unifiées. Réalisant 12 millions de chiffres d'affaires et employant une quarantaine de salariés, l'entreprise n'a toutefois jamais levé de fonds.

L'Atelier : Comment pourriez vous caractériser votre activité? Comment "attaquer" un secteur ?

Alexis de Goriainoff : Nous avons profité de la mutation du secteur des télécoms. Avant 2007, être un opérateur téléphonique signifiait bénéficier d'une infrastructure énorme nécessitant plusieurs millions voire milliards d'investissements. La convergence permise par l'IP a fait qu'avec assez peu de matériel sinon des logiciels, le domaine est devenu relativement accessible. Nous avons réussi à monter sans trop d'argent.  En apportant des fonds personnels, nous avons réuni 60 000 euros qui composent toujours notre capital.

David Brette : Le fait que la fonction d'opérateur évolue a fait basculer le secteur d'un métier d'infrastructures à un métier créatif en termes de nouveaux services. Si auparavant, il était impossible de devenir opérateur sans infrastructures ni fonds conséquents, il est désormais impensable de ne pas détenir de la "matière grise", c'est à dire des talents capables de composer les bonnes équipes.

Quel est votre business model ?

Alexis de Goriainoff : Nous avons réduit au départ nos coûts fixes au minimum, c'est  à dire aux dépenses uniquement nécessaires au démarrage et au fonctionnement de l'activité. Pour les coûts variables, nous n'avons pas pris la voie de la vente à perte pour conquérir le marché. Nos solutions sont payantes et rentables. Nous n'avons pas « acheté » la clientèle. Notre modèle est axé sur la création de valeur et un investissement continu. Nos lignes de produits croissent seulement avec notre nombre de clients.

Est-ce que ce modèle est, selon vous, facilement reproductible ?

Alexis de Goriainoff : Le modèle est reproductible mais pas forcément dans tous les secteurs. Lorsque l'on développe des applications très innovantes, cela peut demander un investissement de départ. En tant qu'opérateur, nous opérons. Notre service lié à l'intermédiation fait que notre opération de briques est différenciante. Nous sommes en fait innovant par notre service unique. Il n'est pas toujours nécessaire de réinventer la roue mais de l'utiliser au mieux.

David Brette : Ce qu'il faut, c'est avoir à la fois une vision à court terme et à moyen terme. Sans fonds, il faut dégager des revenus immédiatement. Il convient donc de développer des applications répondant à un besoin immédiat et d'être capable de penser un système dans lesquelles elles s'inséreront pour couvrir un besoin plus complet, complexe dans un avenir proche. Aujourd'hui, certains cherchent à financer une idée sans aucune vision sur la rentabilité. La revente, des levées de fonds plus importantes ou d'autres solutions lointaines sont alors envisagées pour rembourser la mise de départ.

Quels pourraient être les freins à un tel modèle ?

Alexis de Goriainoff : Il est constamment imposé d'être à l'équilibre. C'est la culture de la débrouille. Il faut lisser au maximum ses investissements. Nous louons la plupart de nos biens. Cela a surement surtout freiné notre croissance.

David Brette: Par le passé, nous étions obligés de nous arrêter sur une opportunité unique requérant un développement particulier pour un client afin de faire rentrer de l'argent malgré un écart avec notre visée stratégique quant aux développements à apporter. Ceci constitue tout de même une bonne démarche commerciale. De plus, ce temps que nous avons perdu lors de ces moments, je pense que nous l'avons rattrapé et même aujourd'hui gagné par rapport à la recherche d'investisseurs ou encore au temps à accorder aux présentations et justifications de nos choix stratégiques. Par ailleurs, s'il faut être malin sur les investissements, il faut surtout faire des concessions. Cela a surement ralenti notre croissance mais nous a permis d'être dans la réalité tout de suite avant de pouvoir penser à monter en gamme. L'autre avantage que nous avons désormais est d'attirer des talents.

Pensez vous pouvoir continuer sans fonds extérieurs ?

Alexis de Goriainoff : À court terme, on pense continuer comme cela. En fait on attend le moment le plus opportun auquel une perte partielle de contrôle vaudra son équivalent en opportunités de développement et d'affaires. Nous n'avons pas encore repéré une telle occasion. Mais effectivement, la donne est désormais différente. Les fonds extérieurs apparaissent plus utiles pour grossir ou devenir un leader européen. Toutefois, notre taille actuelle permet de ne pas entrer en concurrence frontale avec de très gros acteurs. On pourrait continuer comme cela durablement, le marché est doté d'une croissance continue et semble stable, sans possibilité de bouleversement a priori.

En situation de forte croissance, les fonds que vous pourriez possiblement solliciter appartiennent au domaine du capital développement. Que pensez-vous donc de l'état du capital développement en France ?

Alexis de Goriainoff : Selon moi, la fonction est bien développée en France. Il ne se passe pas une semaine sans que je ne sois contacté par des fonds ou des intermédiaires. J'ai été assez surpris par leur diversité, à la différence des fonds d'amorçage que je pense au contraire insuffisants. Le fait que nous n'ayons pas ou peu d'endettement renforce sûrement le phénomène. Seulement, nous pensons prendre le contrepied de la démarche. En effet, nous allons continuer à construire notre projet, et ce n'est que lorsque nous aurons besoin d'un montage financier que nous irons voir les investisseurs et non pas l'inverse. 

L'Atelier : Un conseil pour des créateurs d'entreprise ?

Alexis de Goriainoff : En fait, il faut devenir l'homme orchestre pour son entreprise. Un point important réside dans le fait qu'il faut montrer et démontrer que l'on peut fonctionner sans aide extérieure. Il s'agit du préalable nécessaire à l'acquisition de fonds.

David Brette: Finalement, ce qu'il faut c'est une idée, une équipe, un business model. C'est nécessaire si l'on veut glaner des fonds. Si l'on convainc un client, on peut convaincre un investisseur en montrant un projet, une équipe solides. C'est ce que cherchent en effet les investisseurs. En fait, si je démarrais aujourd'hui, entre le portage et le seul investissement financier, mon choix serait vite fait !

“Il faut admettre que les startups peuvent apprendre des choses aux grands groupes” | L'Atelier: Disruptive innovation



L'Atelier : Quelle complémentarité peut-il y avoir entre startups et grandes entreprises dans un développement conjoint?


Interview d'Olivier Roussat, Président-directeur général de Bouygues Télécom

Olivier Roussat : Je crois que le fait de travailler avec des startups, pour une grande entreprise comme Bouygues Telecom peut être bénéfique pour deux grandes raisons : délier l'innovation d'une part, et mieux répondre aux fluctuations du marché d'autre part. Il faut comprendre que la vision du marché ou des services n'est pas la même si l'on dispose ou non de moyens importants. Les startups montrent clairement que l'innovation naît de la contrainte. Les grands groupes de leur côté n'ont souvent pas, du fait de budgets conséquents, de contraintes suffisantes pour se risquer à l'innovation. L'avantage des startups est ainsi de ne pas être impliquées dans les process nécessaires à un grand groupe pour que celui-ci fonctionne harmonieusement. Dans un grand groupe, si l'idée peut bien émerger, elle risque de se faire polir, poncer par les process et par l'héritage de ce qui a été fait précédemment. Une startup n'a pas le poids de cette vision historique, ou alors nettement moins fortement, et peut créer et suivre une idée, un concept, pur, là où les grandes entreprises risquent de la dénaturer par les filtrages successifs. Travailler avec ces startups nous permet de réellement écouter notre environnement sans filtrer l'information.

C'est d'abord la création qui vous intéresse donc, il ne s'agit pas d'investir pour revendre?


Notre rôle dans la relation que nous avons avec les startups n'est pas celui de business angels.  Nous travaillons au sens propre avec les startups que nous aidons en les sélectionnant selon leur activité et leur complémentarité avec notre réseau. Nous ne rentrons pas dans un sujet si nous ne sommes pas certains d'en avoir un usage immédiat au travers de notre structure. En l'occurrence, les quelques fois où nous avons essayé de pousser une startup sans la parrainer par un de nos opérationnels, cela n'a pas parfaitement fonctionné, malgré la qualité des idées. Notre but est de valoriser la startup dans l'usage qu'elle nous permet de mettre en avant dans nos propres services. C'est une démarche équilibrée car elle est payante aussi bien pour l'entreprise que pour la startup. Nous choisissons expressément de ne pas intégrer les startups dans notre entreprise parce que l'intégration en tuerait le fonctionnement. En imposant les process dont nous parlions, on restreint d'autant la liberté d'innovation qui fait la force de la startup. Au contraire, Bouygues Telecom apporte ses avantages aux startups sans les défauts de la grande structure, notamment en termes d'expertise administrative ou de ressources humaines, par exemple. Notre point de départ est simple :  il faut admettre que la startup peut vous apprendre des choses que vous ne savez pas, même si vous êtes un grand groupe.

Vous avez évoqué dans les facteurs qui réduisent le potentiel d'innovation la peur de l'échec, pouvez-vous élaborer?


La culture de l'échec est justement le point fort des startups, la raison de leur qualité d'innovation. Ces entreprises se créent par échecs successifs et n'hésitent pas à opérer des changements profonds dans leur fonctionnement pour répondre au marché. Le problème culturel quant à l'échec est cependant présent en amont, dans les universités et les écoles qui ne nous apprennent pas forcément que l'échec n'est pas complètement négatif, que le fait de se tromper est une étape presque obligée. Il est irrationnel de vouloir faire croire aux étudiants que l'on peut être le meilleur en tout, l'omniscient n'existe ni dans le monde économique ni dans le monde réel. Dans les grandes entreprises, par exemple, cette crainte de l'échec s'incarne dans l'incapacité à admettre qu'un projet ne soit pas bon. Plutôt que d'en changer, on va dans certains cas le renforcer pour essayer de le forcer à aboutir. Il est difficile pour une grande entreprise d'admettre qu'un projet ne puisse fonctionner, justement parce que c'est un constat d'échec, alors que c'est la force des startups.


Les technologies émergentes, toujours facteurs de risques pour les entreprises | L'Atelier: Disruptive innovation





Le business model en prochain défi


E-réputation, bad buzz…  Si ces nouveaux termes peuvent parfois sembler futiles, leur récurrence traduit en fait une zone de non-confort pour les entreprises. En effet, l'étude "Exploring Strategic Risk" établie par Deloitte montre que la réputation constitue la première préoccupation des entreprises. Cité par 40% du panel, ce facteur de risque a progressé de 14 points par rapport à 2010 et a désormais destitué les inquiétudes liées au positionnement et aux valeurs de marque. Déjà identifiées comme principal risque il y a trois ans dans le secteur financier, les craintes liées à la réputation se sont aujourd'hui répandues dans l'ensemble de secteurs et notamment dans les domaines de la santé du fait des hausses globales des soins de santé. A la base des risques de réputation, les nouvelles technologies ont également été identifiées comme cause des bouleversements des business models.
En effet, la majorité du panel (53%) identifie dès à présent les technologies émergentes comme perturbatrices de leurs schémas d'affaires. En 2016, ce bouleversement des modèles d'affaires jusque là établis sera vraisemblablement un facteur prédominant d'inquiétude (26%) pour les entreprises selon l'étude. Si le sentiment est globalement partagé, la zone Asie semble la plus clairvoyante puisque 59% des sondés prennent déjà en considération cette problématique. Au contraire, la zone EMEA semble légèrement à la traine. En termes d'industrie, le secteur qui voie le potentiel de perturbation pour les modèles d'affaires à son paroxysme est le domaine des sciences de la vie (71%). Cinq principales menaces ont été identifiées, les médias sociaux en tête (47%). Le data mining (44%) et les applications mobiles (40%) complètent le podium suivis de près par les préoccupations vis à vis du Cloud computing (38%) et des cyber-attaques (36%).

Le Big Data et les analytics en solutions


Les solutions de Big Data et les données analytiques à en tirer peuvent aider les entreprises à donner du sens aux flux incessants d'information (et de désinformation) que ce soit en interne ou sur la toile. De nouvelles pratiques de contrôle mais également de benchmark et de conseil devront permettre de mieux appréhender les attentes des consommateurs qui auront ainsi leur mot à dire sur les modèles d'entreprise. Bien sûr, toutes les données ne seront pertinentes ou utiles pour évaluer le risque stratégique. Ainsi, le défi de l'analyse des données est de passer au crible cet ensemble de données, de déterminer les risques les plus importants et leurs indicateurs, puis d'établir une marche à suivre. La nécessaire dynamique de cette démarche et de l'adaptation constante des risques stratégiques à identifier constituera enfin un dernier défi.

mardi 29 octobre 2013

Comment se lancer sans « produit » (et quand même avoir une chance de s’en sortir) | Création d'entreprise & startups ! | Guilhem Bertholet




Le mythe de la Lean Startup (il faut vraiment que je me pose quelques heures pour mettre noir sur blanc pourquoi la Lean Startup n'est qu'une des réflexion qui peut aider à lancer une startup – et non pas la méthode à suivre les yeux fermés !) commence à vraiment imprégner le petit monde des startups… et une croyance a émergé : les premiers temps de la vie de son entreprise, il faut tout faire pour mettre au point son « MVP » – Minimum Viable Product.

Si globalement, l'approche est saine – s'occuper de comprendre son client – elle a par contre mis l'emphase très fortement sur la nécessité de développer très tôt un produit.
Et pourtant, même en s'attelant à cette méthode, très peu réussissent à faire le produit génial qui décolle vraiment – et l'on retrouve encore beaucoup de boites, âgées d'1 à 3 années, fortes d'un top produit qui a pivoté quelques fois, mais sans clients, sans marché, sans argent pour poursuivre.

Je pense qu'il existe une autre approche intéressante, dans les premiers mois de l'entreprise, qui peut aider à survivre, et à se lancer, sans produit.

Il s'agit de penser différemment à ce que peut être le produit, et de faire du contenu.
Oui, le contenu est dans ce cas-là le produit.
Sans développement, il reste possible sur presque tous les secteurs d'activité de se lancer en agrégeant / créant des contenus intéressants.

Attention : je ne dis pas de se lancer pour devenir une entreprise de contenus. Mais bien de faire que le contenu soit le premier produit que va créer la jeune startup, avant même un produit  « technique » à proprement parler. 

Cela a plusieurs avantages à mes yeux :
  • la barrière à l'entrée est moindre : il faut moins de temps pour écrire des articles / un ebook sur un sujet, qu'il n'en faut pour mettre au point ne serait-ce même qu'une seule fonctionnalité – et il n'y a finalement pas tant que cela de « bons » contenus sur un sujet « de niche », quelle que soit la niche. Avec un peu de temps et d'application, vous devriez récolter les fruits de votre travail !
  • cela vous donne du temps pour vous associer : même sans co-fondateur Tech ou sans moyen financier pour faire faire votre site / service / appli à une agence (quoi que, vous savez ce que j'en pense), vous pouvez comprendre et écrire des choses intéressantes sur votre secteur. Et comme « monter en expertise » et la faire reconnaître prend du temps, le plus tôt est le mieux ! (d'autant plus que vous convaincrez plus aisément un dév de vous rejoindre si vous montrez que vous êtes crédible sur le sujet…).
  • vous pouvez éventuellement le faire en mode « soirs & we » : pour faire du contenu pertinent sur un sujet, 15 jour de veille intensive puis 1h par soir suffisent à commencer à avoir un rendu quali et pro. Voilà une excellente chose à faire donc, et une bonne habitude à prendre, lorsque vous n'êtes pas encore sur votre projet à 100%, par exemple en cours de préavis ou en fin d'études, ou même si vous vous tâtez encore à quitter le nid du salariat pour sauter dans le grand bain. Cela vous permet de gagner du temps et de construire votre expertise.
  • cela construit une vraie base pour vous permettre de faire du Customer Development : plutôt que de chercher désespérément des « alpha-testeurs » le jour où votre MVP commence à être montrable, vous devriez grâce à vos contenus avoir déjà une base assez propice pour donner feedbacks et conseils…
  • vous n'êtes pas à l'abri de monétiser votre contenu : on ne sait jamais, vous allez peut-être vraiment créer des contenus intéressants, qui vous amèneront des opportunités monétisables : un peu de conseil, des articles rémunérés, de la pub, de l'orga d'événements… Je suis passé par là, et franchement lorsque l'on monte sa startup, un sou c'est un sou et il n'y a pas de sot métier !
  • c'est une histoire de « levier » : avoir un « média » qui est un peu en pointe sur un sujet, voire même carrément celui qui sert de référence et qui attire un peu de trafic qualifié, cela vous donnera plein de cartouches pour « faire levier » sur des personnalités de votre secteur d'activité. Que ce soit via des interviews (top pour entrer en contact de manière non commerciale avec des décideurs que vous peineriez à toucher, par exemple) ou tout simplement pour relayer des infos / news, vous verrez que vous serez dans une position bien meilleure !
  • vous attirerez d'autant plus l'oeil des médias : en tant que startupeur « communiquant », l'une de vos prérogatives de permettre à la startup de gagner un peu en visibilité, de passer dans la presse, de préparer le terrain pour une levée de fond ou l'acquisition de clients. Si vous avez du contenu intéressant, intelligent, et « dans la tendance de ce que des journalistes peuvent traiter », il y a de fortes chances qu'ils prêtent d'autant plus attention à vous qu'ils sentent que 1. vous êtes un bon client, et 2. vous pouvez parler de plus de choses que juste vendre votre popote commerciale.
  • si votre entreprise est vouée à réussir, ce sera l'une des clés de sa réussite : appelez-la comme vous voulez (Inbound Marketing, Content Marketing, …), mais la stratégie de contenus est de plus en plus importante pour votre plan d'acquisition / plan marketing / plan commercial. Faire des contenus intéressants est de toute manière un point de passage obligé pour 90% des startups en B2B, un peu moins en B2C mais cela tend à être de plus en plus le cas… donc autant commencer tôt et inculquer cette culture chez vous !
Alors, vous commencez quand à faire du contenu ? C'est peut-être bien ça votre premier produit !

lundi 28 octobre 2013

[Témoignage] Ce que la France de l’innovation peut apprendre de la Silicon Valley - Maddyness


innovation france silicon valley


Voici une question qui m'a été posée lorsque, à l'occasion d'une conférence organisée par Arthur de Conihout, Jack Voileau et The Family, j'ai croisé Jean-Yves Bruna, Directeur du Développement Stratégique de Sopra Group Services Financiers. Alors, j'ai pensé à mon récent voyage dans la Silicon Valley et voici la première idée m'est venue.

J'ai constaté une réelle différence dans la vitalité du capital investissement entre la Silicon Valley et la France.

Dans son rapport sur la compétitivité Louis Gallois indique que la collecte de capital investissement s'établit à 6,4 milliards d'euros pour l'année 2011 en France. Or, en 2012, New Enterprise Associates, un fond investissement américain a levé, à lui seul, plus de 2,6 milliards de dollars, selon Evelyn Rusli, reporter au NYTimes. Donc, ce qui étonne d'emblée, c'est le fait qu'un seul fond d'investissement américain puisse lever à peu près un tiers de la totalité des fonds collectés par tous les fonds français. De là, une capacité d'investissement qui est sans commune mesure avec ce qu'on trouve en France. Mais, "cela n'a pas grande importance" m'a répondu Vivek Wadwah, un entrepreneur et universitaire indien-américain. Il a ajouté que le capital investissement a perdu en importance parce que les besoins en CAPEX des startups ont considérablement diminué (voir infographie) ces dernières années, notamment grâce aux technologies du Cloud. C'est vrai. Mais, il n'y a pas que le CAPEX; il y a aussi l'OPEX. Et cela a des implications extrêmement concrètes. Voici un exemple.

L'exemple de Piazza

En effet, parmi les nombreuses startups que j'ai pu rencontrer, j'en ai rencontré une, Piazza, qui est en train de développer un logiciel collaboratif à destination des étudiants des universités américaines.
Piazza
Le logiciel est très simple d'utilisation et il me paraît être relativement bien conçu. Mais, ce qui m'a étonné le plus, ce n'est pas tellement le produit mais plutôt les finances. En effet, d'après le Directeur Général, les investisseurs ont souhaité que Piazza concentre ses efforts sur la conception, l'amélioration, et la diffusion du logiciel auprès de son public cible, sans se soucier de la génération de revenus ; et d'ailleurs, sans même se soucier non plus de l'élaboration d'un modèle économique (!) Autrement dit, pendant deux ans, le fonds d'investissement de Piazza a payé les salaires de ses employés, sans que cette entreprise ne génère le moindre revenu.
Je vais être très clair : je n'ai jamais vu chose pareille en France. Pourtant, j'ai travaillé dans plusieurs startups et j'ai rencontré de nombreux investisseurs. Mais, je n'ai jamais entendu parler, dans aucune réunion, dans aucune conversation, dans une aucune discussion, à aucun moment, d'un investisseur qui serait prêt à payer les salaires de 10 employés pendant deux ans sans que ceux-ci n'élaborent de modèle économique. Jamais. D'ailleurs, Philippe Colliat, un Directeur Général dans l'e-commerce et le web, qui était avec moi chez Piazza, partageait ma surprise. Moi, ce que j'entends, lorsque je rencontre des investisseurs en France, c'est plutôt des investisseurs qui seraient prêts à investir à condition que l'entreprise ait déjà développé son produit, ait déjà acquis quelques grands comptes, ait déjà atteint l'équilibre. Au début, je me suis dit que cette différence devait provenir d'une différence culturelle : l'investisseur français serait davantage averse au risque que son homologue américain. Cela est peut-être vrai.

L'investisseur américain a beaucoup plus de capitaux à investir que l'investisseur français

Mais il y a une autre différence notable : l'investisseur américain a beaucoup plus de capitaux à investir que l'investisseur français. L'investisseur est donc prêt à investir dans une entreprise sans que celle-ci ne génère de revenus pendant deux ans. Conséquence ? Le temps passant, des entreprises comme Piazza finissent par acquérir une réelle base d'utilisateurs, parfois plusieurs dizaines de millions. Ils développent une réelle connaissance de leurs clients et comprennent l'usage que leurs clients font de leurs produits. Celui-ci est donc amélioré en conséquence, c'est-à-dire en fonction de l'usage réelle que les clients font de leurs produits. Et, le temps passant, l'entreprise qui mettait son produit à disposition gratuitement, commence à faire payer l'accès à certaines fonctionnalités plus avancées. Et voici qu'une entreprise qui ne générait pas de revenus commence à générer un revenu certes très modeste si l'on regarde le revenu par utilisateur, mais qu'il l'est moins lorsque ce revenu par utilisateur est multiplié par la base d'utilisateurs qui se compte déjà en plusieurs millions.

Et c'est ainsi que l'entreprise conçoit un modèle d'affaires "scalable"

Autrement dit, l'anxiété des dirigeants pressurisés par des investisseurs ne les amène pas à concevoir de grands "Business Plan" avec des projections de revenus sur 5 ans ; il n'y a pas ce stress à vouloir dégager du profit tout de suite. Il n'y a pas non plus, pour corollaire, cette arrogance qui consiste à vouloir prédire l'avenir alors que l'entreprise évolue sur un nouveau marché et que les mouvements de la concurrence demeurent encore illisibles. Au contraire, j'ai trouvé chez les dirigeants des startups de la Silicon Valley une réelle humilité : celle qui consiste à penser qu'un "Business Plan" doit servir avant tout à apprendre : apprendre à connaître son marché, apprendre à connaître les besoins de ses clients, apprendre à anticiper la demande du marché plutôt qu'à prédire les revenus futurs comme une voyante avec sa boule de cristal.
Le résultat ? Aujourd'hui, la Silicon Valley compte plus de 50 entreprises pré-offre publique initiale valorisées à plus d'un milliard de dollars, d'après Vincent Worms, le Managing Director de Partech International, une société de capital risque basée en Californie et en Europe. Je répète: la Silicon Valley compte 50 entreprises différentes pré-offre publique initiale valorisées chacune à plus d'un milliard de dollars. Et ce sont ces entreprises là qui seront les Microsoft, Apple, Amazon, Google, Facebook, Salesforce, LinkedIn et Twitter de demain ; ce sont ces entreprises-là qui seront pourvoyeurs d'emplois et de croissance.
Vous m'objecterez que nous avons également en France nos startups championnes, telles que Dailymotion et Deezer, par exemple. Et j'accepte cette objection. Mais, si l'on regarde la tendance générale, on prend conscience que les ordres de grandeur demeurent incomparables.
L'innovation un enjeu pour la France - Pierre Tambourin et Jean-Luc Beylat
Sources : Jean-Pierre Beylat, Pierre Tambourin, L'innovation, un enjeu majeur pour la France, page 49
Ce graphe montre qu'il y a un multiple significatif (entre 14 et "plus l'infini" selon l'année de création) si l'on compare le nombre d'entreprises françaises et américaines qui atteignent 100 millions d'euros de R&D.
A l'évidence, la France a su créer des géants mondiaux à la libération. Aujourd'hui, l'économie française place le plus grand nombre d'entreprises dans le Fortune 500 devant ses concurrents européens, tels que l'Allemagne, le Royaume-Unis, l'Italie et l'Espagne. Mais, paradoxalement, la France ne sait pas du tout transformer ses startups en de grands géants mondiaux. A l'inverse, les Etats-Unis, emmenés par le dynamisme de la Silicon Valley, y excellent.
Et ce savoir-faire américain est, pour partie, fonction:
  • de la vitalité du capital-risque
  • du temps que les investisseurs et les Startups se donnent pour peaufiner leurs innovations
  • du temps que les investisseurs et les Startups se donnent pour trouver leurs modèles économiques
  • du temps que les investisseurs et les Startups se donnent pour comprendre les attentes de leurs clients
  • de la rapidité avec laquelle un modèle économique "scalable" parvient à générer des revenus conséquents
  • de la capacité de la Silicon Valley à produire des Startups innovantes et profitables en grand nombre
  • de la capacité de la Silicon Valley à produire à produire les géants mondiaux de demain
Voici donc la première idée qui m'est venue lorsque Jean-Yves Bruna m'a demandé ce que la France de l'innovation pouvait apprendre de la Silicon Valley. Et d'autres idées me sont venues encore… et celles-ci feront l'objet de prochaines tribunes.
Crédits Photo: Flickr