mardi 26 août 2014

Got a Great Idea But Not the Time (or Means) to Develop a Product? | Entrepreneur.com



The idea engine keeps inventors, innovators and entrepreneurs in business. "Successful inventors accumulate over a thousand ideas in the course of bringing a creative concept successfully through the innovation process from an idea to market reality," Penn State professor Jack Matson wrote in his book Innovate or Die.

Yet everyday people also generate a steady flow of ideas from their everyday experiences. Daniel Burrus, in a blog post on The Huffington Post, suggested that useful ideas can come not only from inventors, innovators and entrepreneurs but also from anyone with in-depth knowledge or experience of a subject matter or domain.
On the heels of successful TV programs such as Shark Tank, Damon D'Amore created the Beverly Hills-based WayFounder, born out of the idea that not all idea generators desire to become CEOs of a startup. During a recent Money Talk radio interview, he explained to me that in his experience, many people have ideas "but very few wanted to take the life risk inherent in going to try to launch a startup."
"Good ideas come from everywhere," D'Amore wrote on the WayFounder blog. "However, for most people, without a full-time commitment there are few great options for turning their ideas into a successful product or business." So he created WayFounder to serve those with a great idea but no domain expertise or people with domain expertise but no desire or time to launch a startup.

"Say you are a high school track coach but you have an idea for a great dog toy," said D'Amore."Wonderful!" I'd like "to give you cash right now and reward you for your idea."
D'Amore will provide funding to domain experts in the dog-toy category -- people who know how to design, produce and market dog toys. If the product is successful, the idea generator will be rewarded with royalties and a stake in the company.
WayFounder receives ideas through a quarterly competition; the ideas for products and apps are evaluated by a panel of judges (from various industries) according to specific criteria.
Each quarterly competition has at least one winner, who's granted a $10,000 cash prize, as much as $50,000 to bring that product to market and a 5 percent royalty fee on all sales (if the product makes it to market).
If the product is successful, WayFounder will invest an additional $250,000 to hire an experienced CEO to build the business from producing the single product into a viable and sustainable operation. The inventor receives 5 percent founder equity in the new company.

While many crowdsourcing platforms and shows require inventors to share their ideas with the public, at WayFounder the ideas are vetted by industry professionals with domain expertise and ideas are kept private. Only the WayFounder team and the judges view the submissions.
WayFounder provides a cash payment up front. When the product reaches the market, WayFounder provides revenue-sharing and equity participation.
With WayFounder focused on early-stage ideas, a participant might have a concept but not have invested any meaningful time or money in its development. These participants don't have the luxury of dropping everything in life and committing full-time to building a business.
Entrepreneurs may take issue with WayFounder's business model, seeing it as a way of making off with great ideas at a fraction of their true value.
D'Amore defends WayFounder's business model, noting that some idea generators may also be entrepreneurs. "Other folks are just great idea people," he said. "And if you are not an entrepreneur, it's OK to say, 'I'm an idea generator.'"
Although crowdfunding sites can provide entrepreneurs with money to finance projects, the challenge for many is that they are left on their own to figure out how to bring a product to market. The hurdles faced by the inexperienced can include figuring out how to obtain legal protection, identify manufacturers, build websites, develop necessary technology and create a marketing and sales plan.
D'Amore believes that as many crowdfunding efforts fail because would-be entrepreneurs don't fully understand what it takes to start a company. "People who don't know anything about fulfillment, delivery, manufacturing -- they go over their costs. They think they can just call somebody in China, order a product, and it just magically appears here."
To get WayFounder off the ground, D'Amore raised venture funds last year (to support its operations, competitions, investing in winning ideas and funds scaling those ideas).
In mid-August, WayFounder announced the winners of its first quarterly competition. in the home and garden category, a mobile app idea for brides and a parenting product.
As the late comedian Robin Williams once said, "No matter what people tell you, words and ideas can change the world." D'Amore and WayFounder have created a mechanism that provides everyday people with a platform to put their ideas into action and change the world – while earning a reward for their effort.





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jeudi 12 juin 2014

Le capital du XXIe siècle : Croissance, mythes et réalités - AgoraVox le média citoyen





Le capital du XXIe siècle : Croissance, mythes et réalités

Difficile depuis quelques semaines de ne pas avoir entendu parler du livre de Thomas Piketty, le Capital du XXIe siècle. Qu'y dit-il à propos de la croissance ?

Tout d'abord, avant d'entrer dans le vif du sujet, une des premières bones surprises à la lecture du livre de Thomas Piketty est son regard distancié et souvent critique sur ses confrères, les économistes.
Laissons-lui la parole avec trois citations :
« Disons-le tout net : la discipline économique n'est toujours pas sortie de sa passion infantile pour les mathématiques et les spéculations purement théoriques, et souvent très idéologiques, au détriment de la recherche historique et du rapprochement avec les autres sciences sociales. Trop souvent, les économistes sont avant tout préoccupés par de petits problèmes mathématiques qui n'intéressent qu'eux-mêmes, ce qui leur permet de se donner à peu de frais des apparences de scientificité et d'éviter d'avoir à répondre aux questions autrement plus compliquées posées par le monde qui les entoure.  »
« L'expérience de la France à la Belle Époque démontre si besoin est le degré de mauvaise foi atteint par les élites économiques et financières pour défendre leur intérêt, ainsi parfois que par les économistes, qui occupent actuellement une place enviable dans la hiérarchie américaine des revenus, et qui ont souvent une fâcheuse tendance à défendre leur intérêt privé, tout en se dissimulant derrière une improbable défense de l'intérêt général.  »
« Je n'aime pas beaucoup l'expression « science économique », qui me semble terriblement arrogante et qui pourrait faire croire que l'économie aurait atteint une scientificité supérieure, spécifique, distincte de celle des autres sciences sociales. Je préfère nettement l'expression « économie politique », peut-être un peu vieillotte, mais qui a le mérite d'illustrer ce qui me paraît être la seule spécificité acceptable de l'économie au sein des sciences sociales, à savoir la visée politique, normative et morale. (…) Trop longtemps, les économistes ont cherché à définir leur identité à partir de leurs supposées méthodes scientifiques. En réalité, ces méthodes sont surtout fondées sur un usage immodéré des modèles mathématiques, qui ne sont souvent qu'une excuse permettant d'occuper le terrain et de masquer la vacuité du propos.  »
Daniel Kahneman a déjà mis l'accent sur ce danger d'une application simpliste des mathématiques, notamment en insistant sur le fait que nous sommes des « Humans » et non pas des « Econs » (voir mon article consacré à ce point : Arrêtons de diriger en croyant le monde peuplé d' « Écons » !).
J'ai moi-même, à de multiples reprises, expliqué que l'art du management avait peu à voir avec les mathématiques, et davantage avec la philosophie et l'histoire (voir par exemple « Philosophie et histoire sont plus utiles que les mathématiques pour diriger dans l'incertitude  »)
Rassurant de voir que Thomas Piketty, tout en s'appuyant sur de nombreux calculs, ne croît pas que la vérité va miraculeusement en surgir…
Croissance de la production et croissance de la population
Venons-en donc maintenant au thème de la croissance. Que dit-il à son sujet ?
D'abord une remarque de bon sens, mais qui est souvent ignorée : le premier moteur de la croissance est l'expansion démographique.
Aussi, pour parler de la croissance et analyser sa dynamique, il faut d'abord commencer par étudier la croissance démographique : en effet si la population s'accroît de 1%, tout croissance de la production inférieure à 1% représente en fait une régression par habitant.
Donc comment la population mondiale a-t-elle évoluée depuis l'antiquité ?
Pourquoi partir de si loin ? Car c'est bien un des enseignements les plus fascinants de ce livre, c'est la longueur des séries historiques, qui permet de remettre en perspective nos réflexions.
Qu'en dit-il ?
« Quelles que soient les imperfections des sources historiques et des estimations de la population mondiale à ces deux dates, il ne fait donc aucun doute que la croissance démographique moyenne entre l'an 0 et 1700 était nettement inférieure à 0,2 % par an, et très certainement inférieure à 0,1 %.  »
Tout change ensuite.
« Conséquence de cet emballement démographique : le taux de croissance de la population au niveau mondial atteint au XXe siècle le chiffre record de 1,4 % par an, alors qu'il n'avait été que de 0,4 %-0,6 % aux XVIIIe et XIXe siècles.  »
Du coup, on peut alors accéder au calcul de la croissance par habitant, c'est-à-dire celle qui mesure la progression du revenu individuel, et donc la vitesse de transformation d'une société.
« Au niveau mondial, la croissance moyenne de 0,8 % par an de la production par habitant entre 1700 et 2012 se décompose en à peine 0,1 % au XVIIIe siècle, 0,9 % au XIXe siècle et 1,6 % au XXe siècle. En Europe occidentale, la croissance moyenne de 1,0 % entre 1700 et 2012 se décompose en 0,2 % au XVIIIe siècle, 1,1 % au XIXe siècle et 1,9 % au XXe siècle. Le pouvoir d'achat moyen en vigueur sur le Vieux Continent a tout juste progressé entre 1700 et 1820, puis a été multiplié par plus de deux entre 1820 et 1913, et par plus de six entre 1913 et 2012. »
Donc plus d'un siècle de quasi stagnation, puis une accélération depuis 1820, et surtout depuis 1910.
Croître de 1,5% par an, c'est grandir de plus de 50% en 30 %
Quelques premiers commentaires sur la croissance.
Quand nous nous émerveillons de la croissance américaine, et que nous nous lamentons sur l'atonie en Europe, nous oublions que l'essentiel de l'écart est dû à la différence entre les dynamiques démographiques : si les États-Unis croissent plus vite que nos vieux pays, c'est d'abord à cause de la croissance de la population. Voilà qui donne une nouvelle saveur à tous les discours qui veulent limiter l'immigration…
Mais l'essentiel dans l'analyse de Thomas Piketty est ailleurs, elle est dans son affirmation que le rythme normal de la croissance de production par habitant se situe autour de 1 %, et que la croissance à long terme dans les pays avancés ne peut pas être supérieure à 1,5% :
« Qu'importe le détail de ces chiffres : le point important est qu'il n'existe aucun exemple dans l'histoire d'un pays se trouvant à la frontière technologique mondiale et dont la croissance de la production par habitant soit durablement supérieure à 1,5 %. (…) Sur la base de l'expérience historique des derniers siècles, il me paraît assez improbable que la croissance à long terme de la production par habitant dans les pays les plus avancés puisse être supérieure à 1,5 % par an. Mais je suis bien incapable de dire si elle sera de 0,5 %, 1 % ou 1,5 %. Le scénario médian présenté plus loin repose sur une croissance à long terme de la production par habitant de 1,2 % par an dans les pays riches, ce qui est relativement optimiste par comparaison aux prédictions de Gordon (qui me semblent un peu trop sombres), et en particulier ne pourra se produire que si de nouvelles sources d'énergie permettent de remplacer les hydrocarbures, en voie d'épuisement. Mais il ne s'agit que d'un scénario parmi d'autres.  »
Est-ce si grave ? Est-ce que cela veut dire que nous sommes condamnés au déclin ? Non, bien au contraire, car :
« La bonne façon de voir le problème est là encore de se placer au niveau générationnel. Sur trente ans, une croissance de 1 % par an correspond à une croissance cumulée de plus de 35 %. Une croissance de 1,5 % par an correspond à une croissance cumulée de plus de 50 %. (…)
Il s'agit d'une différence considérable avec les sociétés du passé, où la croissance était quasi nulle, ou bien d'à peine 0,1 % par an, comme au XVIIIe siècle. Une société où la croissance est de 0,1 % ou 0,2 % par an se reproduit quasiment à l'identique d'une génération sur l'autre : la structure des métiers est la même, la structure de la propriété également. Une société où la croissance est de 1 % par an, comme cela est le cas dans les pays les plus avancés depuis le début du XIXe siècle, est une société qui se renouvelle profondément et en permanence.  »
Certes, certes, mais nous sommes bien loin du discours des politiques qui rêvent d'une croissance supérieure à 2%, ce qui, vu notre stagnation démographique en Europe, serait donc hors de portée.
Mais pourtant nous avons connu dans le passé, une telle croissance. Ah, ses merveilleuses Trente Glorieuses…
Croître plus vite pour reconstruire et rattraper
Si un rythme de croissance « normale » par habitant est de 1 à 1,5% par an pour une économie développée, pourquoi avons-nous connu au cours des années appelées les Trente Glorieuses une croissance beaucoup plus rapide ? N'étions-nous alors pas développés ?
Pas exactement… mais oui d'une certaine façon. En effet, si les économies européennes étaient déjà dès les années cinquante, sophistiquées, elles venaient de subir le double choc des deux guerres mondiales. Elles avaient donc accumulé pendant la période 1914-1945, un retard de croissance important : les Trente Glorieuses ne seraient qu'un phénomène de rattrapage.
« Une fois ce rattrapage terminé, l'Europe et les États-Unis se sont retrouvés ensemble à la frontière mondiale, et se sont mis à croître au même rythme, qui est structurellement un rythme lent à la frontière. »
Selon Thomas Piketty – et les données venant à l'appui de ses propos sont convaincantes –, pas grand chose donc à voir avec un quelconque meilleure efficacité économique. Nous n'avons pas alors eu une croissance rapide parce que nous étions plus performants qu'aujourd'hui, mais simplement parce que nous rattrapions notre retard et reconstruisions notre pays.
A l'appui de sa thèse, il montre qu'il y a une corrélation directe entre l'importance du taux de croissance par habitant pendant les Trente Glorieuses, et le taux de destruction et de préjudice subi précédemment : l'Europe croît beaucoup plus vite que les États-Unis (attention en mesurant ceci par habitant, car la croissance des États-Unis totale était, elle, importante, parce que tirée par l'expansion démographique), et au sein de l'Europe, l'Europe continentale plus vite que le Royaume-Uni.
Il en arrive à conclure que ceci n'a rien à voir avec la politique suivie alors :
« Il est probable que la France, l'Allemagne et le Japon auraient rattrapé leur retard de croissance à la suite de l'effondrement des années 1914-1945, quelles que soient les politiques suivies, ou presque. Tout juste peut-on dire que l'étatisme n'a pas nui. »
Symétriquement, il en vient à douter de l'impact des politiques libérales développées aux États-Unis et en Angleterre à partir des années 80. Constatant le retard de croissance, ces deux pays ont changé de politique au moment où le rattrapage était terminé, et du coup l'écart de croissance entre eux et l'Europe continentale a disparu… non pas parce que ces politiques libérales étaient plus efficaces, mais simplement parce que le retard accumulé à cause des deux guerres avaient été effacé .
Finalement, il en arrive à douter de la validité de toute corrélation entre le type de politique menée et la croissance observée.
« Aujourd'hui encore, dans ces deux pays (États-Unis et Grande-Bretagne), on considère souvent que les révolutions conservatrices ont été un franc succès puisque les deux pays ont cessé de croître moins vite que l'Europe continentale et le Japon. En vérité, le mouvement de libéralisation entamé autour de 1980 de même d'ailleurs que le mouvement d'étatisation mis en œuvre en 1945 ne méritent ni cet excès d'honneur ni cet excès d'indignité. De même, une fois que la frontière mondiale était rattrapée, il n'est guère étonnant que ces pays aient cessé de croître plus vite que les pays anglo-saxons, et que tous les taux de croissance se soient alignés. (…) En première approximation, les politiques de libéralisation ne semblent guère avoir affecté cette réalité toute simple, ni à la hausse ni à la baisse.  »
Et nous retrouvons avec une France qui rêve de revenir à l'interventionnisme étatique et des pays anglo-saxons chantres de l'ultra-libéralisme, les uns et les autres leur attribuant des vertus qu'ils n'auraient pas !
Attention à ne pas en conclure qu'il n'y a aucun lien entre politique publique et performance économique…
Diriger par émergence s'applique aussi à la politique
Nous voilà donc avec une affirmation plus que troublante : la performance économique d'un pays ne dépendrait que bien peu de la politique menée par ceux qui le gouverne.
Avant de modérer ce propos, et de revenir sur les limites à lui apporter, je veux d'abord relever que ceci est très directement en ligne avec nombre de constats faits dans le management des entreprises, et au premier chef par Daniel Kahneman : un dirigeant qui réussit est d'abord un dirigeant qui est à la tête d'une entreprise qui réussit et se trouve porté par des vagues favorables.
Cela fait écho à cette histoire fameuse dans la culture chinoise, où un grand général apprend qu'il a gagné des batailles d'abord parce qu'il était à la tête de la meilleure armée, et secondairement à cause de ses propres décisions. Écho aussi à Léon Tolstoï qui, dans Guerre et Paix, montre comment la campagne de Russie de Napoléon Bonaparte fut essentiellement le fruit du hasard. (voir mon article « Le succès d'un champion est d'abord dû au hasard, et secondairement à son talent  »).
Que nos hommes politiques, comme les dirigeants d'entreprises, apprennent donc d'abord l'art de la modestie.
Mais est-ce à dire que quel que soit son leader un pays va réussir ou échouer, à cause des circonstances ?
Certainement pas !
Comme je l'ai expliqué longuement dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, l'acceptation du dépassement et le passage au management par émergence, ne sont pas le renoncement au management. Ils impliquent un nouveau mode de management, fait de leadership, de capacité à trouver des points fixes sur lesquels caler sa stratégie, mettre en place des organisations simples où chacun comprend son rôle et celui des autres, développer une culture faite de confiance et confrontation :
« Chacun est riche de sa personnalité, de son histoire, de ses compétences, de ses rêves, de ses envies, de sa compréhension. La cohésion de l'ensemble résulte de processus subtils, tissés de confiance et confrontation, associant lâcher-prise, vision commune, geste naturel et prise d'initiatives. Aussi pour faire que ce radeau collectif ne soit pas le jouet des événements, et que ce ne soit pas le fleuve et les éléments qui choisissent sa destination, l'art du management doit être également subtil : il ne peut être question pour le dirigeant de se voir ni comme une reine véhiculée et protégée passivement par ses troupes, ni comme un Dieu tout puissant, sachant tout et décidant de tout. À lui et à son équipe de direction de trouver le cap, de faire que la rivière devienne fleuve, d'apporter confiance et stabilité, de créer les conditions pour que chacun puisse effectivement agir individuellement et collectivement… Pour cela, il doit agir dans le non-agir, décider par exception, accompagner et soutenir, jamais ne cesser de vouloir mieux comprendre et apporter du sens.  »
Alors, et alors seulement, les processus émergents feront que les actions collectives sauront tirer le meilleur parti des situations et des opportunités.
Quand je regarde comment nos pays, et singulièrement la France, sont dirigés, je ne peux que constater que nous en sommes loin…
Apprendre à vivre durablement avec une croissance d'environ 1%
Si le politique n'est pas sans prise sur ce qui se passe dans son pays, il n'en reste pas moins soumis aux lois globales de l'évolution. Un bateau ne peut pas faire fi du cours du fleuve… Il est donc essentiel de le comprendre et de l'intégrer.
Or en matière de croissance, les prévisions de Thomas Piketty pour les décennies à venir ne nous dessinent pas un futur porté par une forte croissance, du moins dans nos pays occidentaux.
En raisonnant d'abord sur la croissance par habitant, il prévoit pour la période 2012-2100 :
- 1,2 % pour les pays les plus riches (Europe occidentale, Amérique du Nord, Japon),
- La poursuite du processus du convergence jusqu'à 2050 pour les autres pays avec une croissance de 5% puis 4% ; et à partir de 2050, un croissance de 1,2%
Soit en moyenne : « Dans ce scénario médian-optimiste, la croissance mondiale de la production par habitant dépasserait légèrement 2,5 % par an entre 2012 et 2030, puis de nouveau entre 2030 et 2050, avant de tomber au-dessous de 1,5 % après 2050, et de se diriger vers 1,2 % dans le dernier tiers du siècle. »
En intégrant les prévisions démographiques, il obtient comme prévision pour la croissance mondiale totale, un ralentissement progressif depuis le taux actuel de 3,5%, à 3% en 2050, et 1,5% à la fin du siècle.
Notons qu'il considère ceci comme un scenario optimiste :
« Elle suppose une continuation sans heurt politique ou militaire du processus de convergence des pays émergents vers les pays riches, jusqu'à son terme vers 2050, ce qui est très rapide. Il est aisé d'imaginer des scénarios moins optimistes, auquel cas la courbe en cloche de la croissance mondiale pourrait tomber plus vite et vers des niveaux plus bas que ceux indiqués sur les graphiques.  »
Inutile de prendre à la lettre ces prévisions – d'ailleurs Thomas Piketty lui-même attire l'attention des lecteurs sur le fait qu'il ne s'agit que de scenarios de cadrage –, l'important est de retenir les ordres de grandeur, et notamment que le plus probable est que, pour les décennies à venir, la croissance dans nos pays d'Europe se situera guère au-dessus de 1%.
Comme déjà indiqué, cela ne correspond en rien à une stagnation, mais imaginer que l'on pourra grâce à une politique volontariste – qu'elle soit d'inspiration libérale ou étatiste –, renouer avec des taux de croissance de 2, voire 3% est très probablement illusoire.
Ceci rejoint plusieurs articles que j'ai publié ces dernières années sur mon blog, dans le Cercle Les Échos et Sur AgoraVox (voir notamment "Le meilleur est improbable, mais il n'est pas hors d'atteinte" paru en 2012)
Nous devons donc nous organiser pour vivre et prospérer avec ce niveau de croissance. Pour un pays comme la France, cela renforce la nécessité d'entreprendre le plus tôt possible des transformations structurelles : nous ne règlerons pas nos problèmes de chômage et d'endettement public grâce à une croissance revenue miraculeusement.
Et si jamais le futur était meilleur, il serait alors très facile d'y faire face !

mercredi 30 avril 2014

Exosquelettes médicaux: naissance d'une industrie




Exosquelettes médicaux: naissance d'une industrie

ParisTech Review – Commençons par le commencement : qu'est-ce qu'un exosquelette ?
Alexandra Rehbinder – C'est un dispositif médical d'aide à la mobilité, qui se présente sous la forme d'une structure externe permettant de reproduire les mouvements de la marche. Les exosquelettes développés aujourd'hui sont destinés aux personnes souffrant d'un déficit de mobilité. Wandercraft pour sa part développe un exosquelette à destination des paraplégiques et de certaines formes de myopathie. Mais, par extension et dans un second temps, ce dispositif peut concerner une population beaucoup plus nombreuse : les modèles du futur permettront, d'une façon confortable et discrète, de compenser la perte de mobilité chez les personnes âgées.
Matthieu Masselin –  Les exosquelettes appartiennent au domaine de la robotique de service, qui est en plein essor. Le concept d'« exosquelette » existe depuis les années 1970, mais il n'a été développé que vingt ans plus tard, dans un cadre militaire comme souvent dans les technologies de pointe. Il s'agissait alors d'amplifier le mouvement, pour donner aux soldats des capacités supplémentaires. Les modèles développés pesaient plusieurs dizaines de kilos. On en est déjà à la deuxième génération, avec des progrès spectaculaires : le XOS 2 de l'américain Raytheon, l'une des références du secteur, ne pèse qu'une dizaine de kilos et consomme deux fois moins d'énergie que le XOS 1. Il sert notamment au transport de lourdes charges, avec des performances triplées par rapport à un soldat non équipé.
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Le XOS-2
Mais les exosquelettes à usage médical que l'on développe aujourd'hui appartiennent à un monde bien différent. En passant dans le domaine civil, les fonctionnalités se déplacent : il ne s'agit plus d'amplifier de manière spectaculaire des performances déjà excellentes, mais d'offrir à des personnes privées de mobilité le moyen de retrouver une vie normale, ou en tout cas plus proche de la normale. Il y a de vrais enjeux : la station debout, le mouvement, ce sont des dimensions essentielles pour mener une vie sociale. Ce n'est donc plus la performance qui est en ligne de mire, mais la mobilité, l'autonomie, et avec elles une certaine dignité.
Qu'est-ce qui a permis, sur le plan technologique, ce passage du militaire au civil ?
Matthieu Masselin –  Il y a tout d'abord la baisse des coûts et la miniaturisation de l'électronique. Mais aussi l'informatique avec le développement des systèmes embarqués, qui est une vraie rupture technologique. Il y a enfin la puissance de calcul phénoménale dont dispose aujourd'hui le moindre processeur. C'est cette puissance de calcul qui permet notamment de générer de la trajectoire en ligne.
Au total, beaucoup de composants et de fonctionnalités sont aujourd'hui disponibles à un prix abordable. Comme nos concurrents, nous utilisons des briques : pour les batteries et les moteurs, des secteurs où les technologies sont matures, cela n'aurait aucun sens de chercher à développer des choses qui existent déjà. Dans d'autres cas, en ce qui concerne la mécanique par exemple, nous utilisons des technologies existantes (logiciels de CAO, de modélisation) pour concevoir notre propre architecture. Enfin, nous sommes intégralement propriétaires des algorithmes de contrôle et de l'architecture : c'est là, très précisément, que réside notre valeur ajoutée.
Alexandra Rehbinder – Il faudrait ajouter les matériaux composites, à la fois légers et solides. Et il y a aussi les progrès remarquables faits dans la modélisation du corps humain et les problèmes de biocompatibilité. Nous travaillons d'ailleurs, dans l'incubateur d'Arts et métiers ParisTech, à quelques dizaines de mètres du laboratoire de biomécanique dirigé par Wafa Skalli, une référence mondiale sur ces questions (NDLR : voir son interview parue en 2012 sur ParisTech Review).
Les exosquelettes se situent au carrefour de plusieurs mondes : des savoirs de pointe dans le domaine de la médecine, la mécanique, l'électronique, mais aussi des maths et du calcul. Notre travail prend en compte et utilise ces différents savoirs. De façon plus générale, il ne s'agit pas simplement de développer un produit, mais bien de penser en termes de service médical rendu, ce qui renvoie à l'ergonomie, au confort, aux enjeux pour les utilisateurs, à la sécurité et à la valeur médicale de l'instrument – un instrument qui doit aider les patients, mais qui trouve aussi sa qualité et sa légitimité en évitant de créer de nouvelles pathologies !
Une fois le produit achevé, il reste la certification et les essais cliniques. Cela représente un cycle d'environ un an, certes plus rapide que pour les médicaments, mais qui doit être intégré dans notre plan de développement et plus prosaïquement dans notre plan de financement. Ce n'est d'ailleurs pas seulement une contrainte : les normes européennes en matière de santé sont très élevées, mais le marquage CE permet ensuite d'accéder à l'ensemble du marché européen ainsi qu'aux nombreux pays non européens qui font confiance à ces normes.

Les projets d'exosquelette mobilisent des compétences scientifiques, mais aussi un savoir-faire industriel et plus largement une expérience qu'on ne rencontre généralement que dans des grands groupes. Or les trois fondateurs de Wandercraft n'ont pas 30 ans et l'équipe ne compte que dix personnes. Le pari est-il tenable ?


Matthieu Masselin – Notre projet est ambitieux, et il l'est d'autant plus que les trois fondateurs ont lancé leur entreprise à la sortie de l'Ecole Polytechnique, avec très peu d'expérience. Mais justement, ils avaient envie de faire quelque chose qui sorte de l'ordinaire, et en un sens il est plus facile de se lancer à 25 ans qu'en milieu de carrière.

Par ailleurs, les compétences de base pour mener à bien ce projet correspondent au profil des trois fondateurs : l'un est spécialisé en mécanique, l'autre en mécatronique et le troisième en contrôle commande. Des pôles se sont constitués autour de chacun d'eux, et d'autres compétences sont venues ensuite. Alexandra, par exemple, vient d'une école de commerce, avec un savoir-faire pour décrypter le fonctionnement particulier des marchés qui nous intéressent : il n'est pas inutile par exemple de comprendre les demandes de remboursement dans tel ou tel marché européen, de façon à pouvoir cibler les pays les plus intéressants.
Enfin nous sommes très bien entourés, et cela peut faire la différence sur le plan industriel. Nous bénéficions de l'accompagnement d'entrepreneurs expérimentés, qui nous assurent des contacts avec des investisseurs mais aussi un regard « professionnel » sur les process, le prototypage, l'identification des sous-traitants et les relations avec eux. Il y a aussi un partenariat avec Mines ParisTech, et nous travaillons en lien étroit avec des associations de patients. Wandercraft n'est pas une structure isolée, elle s'inscrit dans un écosystème.
Alexandra Rehbinder – La viabilité de l'entreprise, à ce stade, est également rendue possible par un cadre fiscal et un environnement financier favorables à de petites structures innovantes. Nous bénéficions de mécanismes fiscaux comme le statut de jeune entreprise innovante ou le Crédit Impot Recherche qui, articulés au soutien d'investisseurs privés et publics, nous permettent de travailler cette année et l'an prochain sans faire de chiffre d'affaires. La confiance est essentielle dans ce type d'activité. Les investisseurs privés jouent d'ailleurs un rôle essentiel : ils attestent de la solidité et de la fiabilité du projet, ce qui encourage l'engagement d'investisseurs publics tels que celui de la Banque publique d'investissement, puis de la Région.
Matthieu Masselin – Les investisseurs ne se paient pas de mots et ils attendent des résultats. Nous avons déjà produit un prototype, restent des étapes de développement qui seront menées en parallèle avec la certification, avant la mise sur le marché et l'industrialisation. Pour vous donner une idée nous espérons 20 exemplaires pour la première année de commercialisation qui est prévue pour mi-2016, puis près de 100 en 2017. Notre capacité à monter en charge sera donc testée très vite et nous travaillons déjà à identifier les sous-traitants les plus fiables. Au demeurant, nous ne serons pas une « entreprise sans usine » : une partie de la fabrication sera faite en interne.
Certains des sous-traitants sont déjà certifiés pour le matériel médical, ce qui est un atout. Mais d'autres ne le sont pas. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux car la question du design de produit est essentielle pour le service après-vente. Il faut que tout soit accessible facilement, mais pas par tout le monde ! La question de la fiabilité sera évidemment essentielle, notamment quand nos produits sortiront d'un cadre hospitalier pour devenir des objets du quotidien. On pourrait ainsi imaginer du monitoring à distance, même si nous ne développerons pas immédiatement cette option.
Au total, il s'agit bien d'une démarche industrielle. Nous devons d'ailleurs gérer le risque de contrefaçon, même s'il est limité par le nombre de composants, le savoir-faire très spécialisé, et surtout le soft, qui est très difficile à récupérer.
Quels sont vos concurrents et à quoi ressemblent leurs produits ?
Alexandra Rehbinder – Les acteurs de la Défense ne se sont pas engagés dans cette activité, et se partagent un marché très différent, avec des clients comme le Pentagone. Les exosquelettes à usage médical forment un marché à peine émergent et nos concurrents sont eux aussi de petites structures.
On peut citer le japonais Cyberdyne, fondé par le Dr. Yoshiyuki Sankai, de l'université de Tsukuba. Ils ont développé un concept original, avec des patchs destinés à capter les influx nerveux. Mais ce n'est pas adapté à tous les patients : les paraplégiques, en particulier, n'ont justement pas d'influx nerveux.
Argo, en Israël, a vendu quelques exemplaires d'un exosquelette de rééducation associé à des béquilles et destiné à des centres de soins.
Rex Bionics, en Nouvelle-Zélande, a développé un modèle destiné aux paraplégiques et vendu à des particuliers – pour le moment, à de riches particuliers, car les prix vont de 100 000 à 150 000 dollars. La marche est un peu robotique mais les bras sont libres. Il s'agit d'un dispositif assez massif, de près de 40 kg, qui permet de faire 3 mètres par minute.
Et Wandercraft ?
Matthieu Masselin – Wandercraft se situerait, dans ce paysage, entre Rex et Argo : l'usage des bras est sauvegardé, le dispositif est léger et il est plutôt discret. Le contrôle de notre exosquelette est conçu sur le principe de centrales inertielles : le dispositif agrège et fusionne des données (collectées par des MEMS, des microsystèmes électro-mécaniques) pour comprendre la position du haut du corps et y articuler un mouvement.
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Nous essayons de développer un produit léger, confortable et discret – quelque chose auquel, idéalement, on ne pense pas plus qu'à un organe. Les questions de design et d'ergonomie sont donc essentielles et elles sont intégrées très en amont du travail de conception. C'est un enjeu marketing, bien sûr – ne pas faire peur au patient, lui donner l'envie d'apprivoiser l'instrument – mais aussi un enjeu social : éviter toute stigmatisation. L'exosquelette n'est pas un instrument anodin. L'exosquelette permettra de marcher à vitesse normale (3,5 km/h) durant 3 heures en continu, ce qui correspond en moyenne à une journée de marche.
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Nous avons reçu récemment un message d'une personne ayant essayé un exosquelette, qui évoquait une « victoire psychologique ». Tout l'enjeu est là, et un produit bien conçu doit pouvoir favoriser cette victoire. C'est pourquoi nous réfléchissons énormément aux scénarios d'usage : comment enfiler ou enlever un exosquelette, comment s'asseoir sur une chaise, etc. C'est un outil issu de la robotique, mais il ne doit pas transformer les gens en robots. D'une certaine façon, l'horizon du produit, c'est d'être un habit : quelque chose qu'on oublie en le portant, mais qui nous aide à nous sentir bien en société.


Les défis industriels de l’impression 3D




Les défis industriels de l'impression 3D

Techniquement, les possibilités de la 3D semblent infinies. Depuis quelques années, il est possible, grâce à une machine dont le coût unitaire diminue rapidement – pour mille dollars, on trouve des imprimantes personnelles performantes – d' « imprimer » à domicile des objets comme des jouets, des pièces détachées, des armes, des outils, des bijoux, des éléments de mobilier mais aussi de la nourriture. Chaussures, montures de lunettes et d'innombrables objets du quotidien peuvent être fabriqués à domicile avec un plastique biodégradable à base de maïs. La machine, qui peut aussi être alimentée en résine, en diverses poudres ou en pâte alimentaire, obéit aux instructions d'un logiciel et empile des couches de matière, une couche après l'autre.
L'impression 3D peut donner lieu à des économies considérables. Pour prendre un exemple humanitaire emblématique, on peut « imprimer » des prothèses orthopédiques (on imprime les éléments que l'on assemble ensuite) pour une fraction du prix de catalogue. Les prothèses de mains sont ainsi imprimables pour un prix modique. Un exemple : selon le fabricant MakerBot, qui offre gratuitement un éventail de plans d'impression sur son site internet dans une déclinaison du concept de logiciel libre, les plans numériques de la « robot-main » ont été téléchargés 55 000 fois en un an. Parmi ceux qui l'ont fait, il y a bien sûr de nombreux curieux. Mais demain, ce seront des équipes spécialisées dans les pays en développement qui grâce à cette technologie pourront changer la vie de personnes à faibles revenus.
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Les applications médicales – les organes imprimés – sont toutes proches. Il reste simplement à trouver un moyen efficace de faire « tenir » l'édifice biologique créé par impression. L'université de Yokohama promet pour 2014 un foie, imprimé à partir d'une « encre » composée d'un liquide contenant des cellules vivantes, et donc la fonction serait pour l'instant purement thérapeutique. Les biologistes impriment des « biobots », des robots miniaturisés capables de cheminer à travers le corps afin d'y effectuer une « réparation » ou d'y délivrer un médicament. Au Wyss Institute de Harvard, on a imprimé des nano robots en forme de coquillage, composés d'ADN et capables de s'ouvrir sélectivement au contact de certaines cellules cancéreuses pour y délivrer des anticorps spécialement calibrés pour elles. Les industries biotechnologiques pourraient être transformées radicalement par les futures découvertes.
L'étape suivante est déjà prête et le « self assembly lab » du MIT travaille sur l'impression 4-D, c'est-à-dire la capacité de créer un objet tout en lui conférant la capacité, grâce aux propriété biomimétiques de ses matériaux composites, de se transformer lui–même ou de s'auto-assembler avec d'autres objets au cours du temps et en fonction de la chaleur, la lumière, l'humidité, les vibrations ou même les sons. On imagine des tenues dont le camouflage ou la couleur s'adapteraient à l'intensité de la lumière ou des carrosseries automobiles s'adaptant à l'humidité et se protégeant contre la corrosion du sel sur les routes, ou encore des canalisations capables de se contracter, de se dilater voire d'onduler pour se muer en pompe en « poussant » l'eau.
Une rupture systémique
L'impression 3D n'est pas nouvelle. Elle existe depuis 1983, année de l'invention de la stéréo-lithographie par Charles Hull, le fondateur de « 3D Systems ». Ce qui est nouveau, c'est que cette prouesse, couplée à la baisse rapide du coût des appareils, peut désormais apporter une rupture systémique sur le marché. La perspective de plus en plus réaliste, pour chaque foyer, de posséder à domicile une machine permettant de fabriquer un nombre considérable d'objets, est de nature à remettre en cause les fondements mêmes de la consommation.

À l'échelle industrielle, les conséquences envisageables sont encore plus marquantes. Avec l'impression 3D un ingénieur a seulement besoin d'un logiciel de design assisté par ordinateur (DAO) pour fabriquer des prototypes beaucoup plus rapidement et à un coût bien moindre, ce qui aura un impact sur la possibilité de multiplier les prototypes, mais aussi de créer des séries courtes. Il est également possible d'innover par itérations beaucoup plus rapprochées. Au lieu d'avoir à créer un moule pour chaque prototype, la même imprimante peut les créer tous, les plus simples comme les plus alambiqués, avec exactement la même facilité. L'impression 3D est indifférente à la complexité. En outre, elle fonctionne sur le principe de la fabrication additive, par empilement de couches successives de matière, par opposition aux méthodes traditionnelles d'enlèvement de matière comme l'usinage par exemple. Il n'y a aucun déchet. Les achats de matière première sont réduits d'autant.
La manufacture traditionnelle exige une large gamme d'acteurs : équipementiers, fournisseurs, bureaux de prototypage, usines, entrepôts, et compagnies de transport. L'impression 3D permettant de produire des pièces à la demande, sur place, et seulement en cas de besoin, elle a le potentiel, en dépit d'un coût unitaire supérieur, pour simplifier considérablement la chaîne d'approvisionnement et réduire les gaspillages coûteux en énergie, comme la consommation de carburant de transport, les équipements non utilisés et les stocks excessifs. D'après une étude approfondie du cabinet Lux Research, on assistera à l'émergence d'une nouvelle « supply chain » où il s'agira avant tout, pour les industriels, non pas d'intégrer toutes les étapes de la production, mais de nouer entre eux des partenariats symbiotiques pour fédérer les expertises.
Certaines entreprises industrielles, et pas des moindres, ont commencé à franchir le pas. Aux Etats-Unis, la Nasa envisage de fabriquer des moteurs de vaisseaux spatiaux par impression 3D. Des injecteurs imprimés à partir d'un alliage de métal ont été testés avec succès. L'idée : faire chuter les coûts et les temps de fabrication, avec en ligne de mire une accélération de l'exploration du système solaire en délocalisant certaines phases de la fabrication… dans l'espace ! La 3D permet en effet, en théorie, de construire des vaisseaux dans l'espace ou sur la Lune à partir de matériaux prélevés sur place. L'Agence spatiale européenne travaille pour sa part à l'impression 3D complète d'une base lunaire. Par ailleurs, des imprimantes de pointe ont été utilisées par le groupe de défense américain Lockheed Martin pour fabriquer une pièce d'un télescope qui doit être déployé dans l'espace autour de 2018. L'industrie aéronautique est un autre débouché très sérieux. En janvier 2014, BAE Systems faisait voler un chasseur Tornado dont plusieurs pièces métalliques sortaient d'une imprimante 3D.
En 2012, deux fabricants d'imprimantes 3D, Stratasys et Optomec, ont créé un précédent en imprimant l'aile d'un avion, y compris les logements pour accueillir les circuits électroniques, ouvrant la porte à la combinaison de la fabrication additive et de l'électronique imprimée. La résolution de l'impression 3D – un micron pour les meilleures machines – est suffisante pour de nombreuses applications électroniques. À l'avenir, électronique, capteurs et communications seront intégrés dès la fabrication, ouvrant la voie à l'impression 3D multifonctionnelle, une avancée manufacturière impossible avec le moulage à injection. Il reste toutefois à inventer la machine capable d'imprimer en même temps l'objet et son électronique intégrée.
Si l'aéronautique et l'automobile sont deux secteurs prometteurs pour la 3D, le cabinet Lux Research attire l'attention sur des différences importantes. Même si la R&D dans l'automobile apprécie la 3D pour le prototypage rapide, la proposition de valeur est moindre que dans l'aéronautique et l'espace, et ce pour quatre raisons principales : les pièces automobiles ont des formes moins complexes ; les matériaux de pointe sont adoptés plus lentement ; la légèreté des matériaux constitue un enjeu moindre ; les volumes produits sont beaucoup plus grands, ce qui rend l'impression 3D moins compétitive que le moulage par injection.
L'impression 3D est très adaptée à une tendance lourde : la personnalisation et la customisation des produits. En France, la Poste propose dans certains de ses bureaux des imprimantes 3D. Les clients peuvent y imprimer des objets simples choisis dans un catalogue ou des maquettes dont ils apportent eux-mêmes les plans sur fichiers.
Les instruments médicaux comme les prothèses, les appareils auditifs, les appareils dentaires, peuvent être fabriqués par impression 3D, au sein même de l'hôpital. La 3D permet donc d'écourter le séjour du patient, avec des effets importants sur les dépenses de santé. De nouveaux services émergent. Pour étendre le concept d'échographie, certains hôpitaux commencent à proposer des sculptures en 3D des enfants quelques semaines avant leur naissance !
Pour ses partisans les plus enthousiastes, l'impression 3D va tout simplement rendre obsolètes le modèle industriel classique, la notion d'usine et en particulier le modèle de manufacture de masse ultra-concentrée, tel qu'il a été développé depuis une vingtaine années. Cela pourrait reconfigurer la géographie de la production, dans une direction qu'il est aujourd'hui bien difficile de déterminer.
Par exemple, on parle beaucoup en ce moment des imprimantes 3D géantes. Le KamerMaker néerlandais est ainsi capable d'imprimer une maison. Le modèle conçu par l'Université de Beihang serait capable de produire des pièces en alliage de titane destinées à l'industrie aéronautique – des pièces qui sont aujourd'hui commandées en Europe, à grands frais et avec des délais assez longs. Sous réserve de produire des pièces d'une qualité parfaite, ce qui n'est pas acquis à ce jour, la 3D pourrait ainsi reconfigurer certaines chaînes de valeur et renforcer les acteurs les plus puissants au détriment des sous-traitants spécialisés, notamment ceux qui produisent des pièces à haute valeur ajoutée. Dans ce cas de figure, l'industrie européenne souffrirait et les imprimantes 3D pourraient ainsi accélérer l'essor de l'industrie chinoise.
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KamerMaker: l'imprimante au travail


Mais on peut parfaitement imaginer à l'inverse une érosion de l'avantage comparatif chinois fondé sur le travail bon marché, car s'il devient possible de fabriquer partout, aucune réduction de salaire ne pourra compenser les coûts de transport transocéaniques. Certes, nombre d'objets resteront produits en grande série selon des procédés plus classiques. Mais on pourrait assister à une « commoditisation » de ces objets, la valeur se nichant dans les objets uniques ou les petites séries fabriquées ailleurs dans le monde. Ou dans les fichiers qui permettront de fabriquer ces objets.

Obstacles et défis
Dans la réalité, toutefois, cette nouvelle ère industrielle, que son prophète Chris Anderson nomme la « révolution des makers », bute sur quelques obstacles sérieux. Certains sont d'origine technique. Hormis les machines de très haut de gamme qui coûtent plusieurs millions de dollars, la 3D tend à imprimer des produits moins solides que ceux obtenus dans les moules à injection traditionnels. La constitution couche par couche entraîne une faiblesse structurelle dans l'axe de la troisième dimension. Cette faiblesse affecte même les procédés de pointe, par exemple le frittage sélectif par laser utilisant le polyetherketoneketone (PTKK). La surface du produit fini est moins lisse, plus rugueuse. La sécurité de l'opération n'est pas encore aux standards domestiques des pays avancés. Certes le polymère thermoplastique ABS (acrylonitrile butadiène styrène) et le PLA (acide polylactique) refroidissent rapidement, mais les matériaux plus sophistiqués comme les résines ou les poudres sont sources de pollution.

Autre inconvénient : on ne peut pas faire d'économies d'échelle. Quant à la durée d'impression, elle varie en fonction du nombre de couches mais peut durer des heures, voire des jours. Ce rythme peut convenir pour la fabrication d'un prototype, pas pour la production en série, même si l'on parle de petites séries. Cette vitesse est – et restera – très dépendante de la vitesse à laquelle la tête d'impression peut extruder la matière première.
Le coût des machines a beaucoup baissé au fil du temps, mais ce n'est pas le cas de la matière première. Par exemple, l'ABS, le matériau d'impression 3D le plus communément utilisé, qui se vend en vrac pour environ 2$/kg, se vend entre 35$/kg et 80$/kg quand il est sous forme de filament ou de poudre. Cela est dû pour partie aux exigences de pureté et d'homogénéité, mais ce coût élevé provient surtout du fait que chaque fabricant d'imprimante 3D oblige les utilisateurs à acheter ses propres matières premières, vendus avec des marges élevées, comme c'est le cas d'ailleurs pour l'impression à jet d'encre.
Enfin, l'impression 3D comporte des risques juridiques. Si par exemple un fabriquant de casque vend le fichier de CAD nécessaire pour l'imprimer en 3D et que le casque révèle un défaut à la suite d'un accident, qui, du fabricant de casque ou du fabricant de l'imprimante, est responsable ? Ces risques pourraient amener les éditeurs et fabricants à faire preuve de prudence et grèveraient donc l'essor de la micro-fabrication chez les particuliers. L'enjeu industriel du contrôle qualité trouve difficilement sa place dans la micro-fabrication chez les particuliers.
La perspective de voir l'impression 3D quitter le monde du prototypage pour celui de la production proprement dite inquiète aussi les milieux de la propriété intellectuelle. Il est désormais facile d'acheter un objet, de le scanner, puis de l'imprimer autant de fois que nécessaire pour satisfaire un marché de proximité. Il s'agirait de copies presque parfaites. Les entreprises peuvent essayer de se défendre. Des moyens existent, qui permettent de garantir l'authenticité des produits, par exemple des puces intégrées dans les produits, ou encore des mesures techniques de protections (MTP) intégrées aux logiciels de dessins 3D. Mais le danger demeure et l'industrie physique pourrait traverser les mêmes affres que celle de la musique ou du film. Les chiffres sont édifiants. Gartner, un influent bureau d'analyse des technologies, évalue à 100 milliards de dollars pour 2018 la perte annuelle en droits de propriété due à la 3D.